C’est mon dernier éditorial pour TelQuel. Dès la semaine prochaine, je quitte la direction de ce journal auquel je serai toujours redevable et pour lequel je continuerai de travailler à l’occasion. C’est que j’ai la volonté d’accomplir d’autres choses, dont la plus importante est de voir grandir mon projet de vie : Ayla, c’est son prénom et elle aura bientôt 3 ans.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous barber avec mon histoire personnelle avec la presse et encore moins ma perception du journalisme ou la liberté d’expression. Une petite confession tout de même : ça fait quinze ans que je prends un malin plaisir à faire ce métier qui donne le privilège de se retrouver aux premières loges pour observer la gestion quotidienne d’un pays. Et dans le Maroc du nouveau millénaire, on est gâté, on a rarement l’occasion de s’ennuyer.
Les nuits blanches innombrables passées à contribuer à la réalisation de ce newsmag – avec une équipe talentueuse composée d’attendrissants cas sociaux – me procurent le luxe de vous imposer un sujet personnel, hors actu pour cet édito de départ. Alors, en concertation avec moi-même, j’ai décidé de me prêter au « je », de suivre la vague et d’établir ma propre liste : celle des mots que j’aimerais ne plus avoir à lire dans ce journal. C’est légitime, d’autant que, désormais, je dois payer au kiosquier mon mag’ préféré.
Concertation vient justement en tête de liste de mes mots bannis. J’ai développé une méfiance pathologique vis-à-vis de ce terme. On me l’a servi dans tous les domaines et à toutes les sauces : forums, assises, colloques, commissions, journées d’étude… Généralement, ces événements à gros budgets pour concertation arrivent à point pour (dés)amorcer un débat, mais débouchent soit sur une impasse sinueuse, soit sur une unanimité déconcertante. Le fameux référendum de 2011 est par exemple un des plus beaux simulacres de concertation. Cette mémorable campagne pour le « oui » est une véritable leçon de démocratie à la marocaine : on en comprend qu’il vaut mieux laisser des personnes bien placées, mais que personne n’a choisies, décider de ce qui nous convient.
Parti est aussi un mot que j’arracherai du dictionnaire. L’histoire récente nous a beaucoup appris sur le jeu de dupes qu’est la politique du bled, avec toutes ses écuries partisanes. On a vu défiler de tout : des socialistes reconvertis en ultra-libéraux, des « fassistes » vaccinés contre la reddition de comptes, des islamistes portés sur les fourneaux à « mlawi » et le yaourt fait maison. Hamdoulah, le parti des technocrates, qui représente cette majorité de Marocains qui ne se rend jamais aux urnes, est là pour sauver les meubles.
Rente, un autre terme à passer à la trappe. Après des décennies de prétendue lutte contre ce fléau et deux ou trois timides déballages, il est peut-être temps de se résigner à faire du « grimatisme » un modèle économique assumé. On pourrait inventer une doctrine qui instaure l’auto-paiement des fonctionnaires, un barème dégressif de l’Impôt sur les revenus de la « tadwira » et le permis de tuer pour les agents du fisc…
Déjà, c’est la fin de la page. En calibrage, il me reste à peine de quoi caser un petit message à Abdellah Tourabi à qui je passe le relais : le non-respect de ma liste, ma dernière volonté éditoriale, risque de mettre notre amitié en péril. C’est ma manière de lui souhaiter, ainsi qu’à tous mes collègues, plein de réussite. A vous, chers lecteurs, je vous dis simplement merci.