Le marché du ciment n’a jamais vécu une mutation aussi importante, tant sur le plan national qu’international. Fusion entre concurrents, absorption de filiales, gel des investissements… autant d’éléments qui annoncent une véritable redistribution des cartes.
Les concentrations sont légion dans le secteur de la cimenterie. Ceci dénote d’un repositionnement stratégique opéré par l’ensemble de la profession. Il faut dire qu’il s’agit désormais d’une nécessité, car il n’est plus question pour les opérateurs d’opter pour la politique du wait and see en attendant des jours meilleurs. Ce que l’on prenait pour une conjoncture est devenue au fil des ans une donne presque structurelle. Les médias n’ont eu cesse ces dernières années de relater, avec tous les synonymes possibles, la baisse qu’enregistre le marché du ciment. D’année en année, les chiffres reculent et les cimentiers trinquent sans pouvoir réagir. A fin mars 2014, le marché n’a écoulé que 3,5 millions de tonnes de ciments contre 3,61 millions sur la même période de 2013, ou encore 4,56 millions en 2012.
Face à ce constat, les cimentiers ont finalement pris les choses en main. Certains d’entre eux ont eu l’idée d’absorber des filiales spécialisées dans le béton prêt à l’emploi. La dernière en date à opter pour cette solution n’est autre que Ciment du Maroc. La filiale d’Italcementi n’a pas hésité à absorber Betomar afin d’optimiser ses ressources financières et commerciales. Bien avant elle, courant 2013, c’est Cimpor, l’opérateur portugais actionnaire d’Asment Temara et Betocim, qui a décidé d’une fusion-absorption entre ces deux filiales. Holcim et Lafarge sont dans le même cas. Cependant, ces deux géants qui ont un pied au Maroc voient les choses autrement. Les entités internationales ont opté pour une solution plus radicale : la fusion. Ainsi, Lafarge et Holcim constitueront une seule et même entité partout dans le monde. Ce que les deux géants ont décrit comme « une fusion entre égaux qui créera un groupe à l’avant-garde de l’industrie des matériaux de construction», est une annonce de la plus grande importance. Et avec une si forte présence sur le marché marocain, il est impossible que le royaume échappe à une reconfiguration du secteur à l’échelle nationale. Cependant, rien n’est encore clair, et aucun opérateur ou expert ne s’aventure à spéculer sur l’avenir. « Au Maroc, personne ne sait comment les choses vont se passer, explique le management de Lafarge. L’accord est certes scellé, mais la fusion ne sera effective qu’en 2015. »
Jamais sans la SNI
Certes, la fusion ne sera pas effective dans l’immédiat, mais le cas du Maroc est particulier sur plus d’un point. D’abord et avant tout, la structure de l’actionnariat complexe de Lafarge Ciment. Lafarge Maroc compte comme actionnaire la Société nationale d’investissement (SNI) en joint-venture avec Lafarge. Et c’est cette joint-venture qui détient la majorité des actions, soit 69,42% de Lafarge Ciment, entreprise cotée à la Bourse de Casablanca. Autrement dit, aucune fusion ne peut se faire que si Lafarge trouve un terrain d’entente avec la SNI. D’ailleurs, le partenaire marocain a-t-il été dans la confidence par rapport à ce deal international ? Contacté, le management de la SNI affirme avoir été informé la veille de l’annonce mondiale par son partenaire Lafarge. Ce qui pousse à se demander ce que compte faire le holding d’investissement par la suite. Acceptera-t-il de se désengager en faveur de son partenaire historique pour lui faciliter la tâche tout en respectant sa stratégie de désengagement des filiales matures ? A cette question, le management de la SNI a préféré tempérer. « Il est encore prématuré de parler des répercussions de cette opération au niveau local, nous ne connaissons pas encore les termes de cette opération et les intentions des protagonistes car nous n’avons pas encore entamé les discussions dans ce sens avec notre partenaire », nous précise-t-on. De son côté, Holcim a un actionnariat totalement épuré. 51% des actions sont détenues par Holcibel, un holding détenu à 100% par Holcim Ltd. La Banque islamique de développement détient 13,78% des actions et le reste est flottant. De ce fait, le premier blocage à régler est du côté de Lafarge.
Ménage à trois
Ensuite, les deux partenaires doivent faire face à une décision de taille, celle du Conseil de la concurrence. Les deux entreprises cumulent une position dominante, à 56,3% en cas de fusion que l’organisme public de régulation ne pourra tolérer en vertu de la loi 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence. En plus, dans le cadre de la répartition régionale appliquée au marché marocain du ciment, elles se retrouvent toutes les deux implantées presque dans les mêmes régions (voir la carte). Selon des experts, 40% des capacités du nouveau groupe seraient installées dans la région de l’ouest. Ce pourcentage atteindrait les 67% des capacités en intégrant la région du centre pour une capacité totale de 11,6 millions de tonnes. Cela induirait forcément des opérations de cessions. D’ailleurs, les managements des deux structures l’ont annoncé lors de la conférence d’annonce internationale : « Des cessions ciblées sur les marchés développés d’environ 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et des cessions limitées sur les marchés émergents d’environ 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires ». Le Maroc échappera-t-il à ce vent de cessions ? Dans le cas contraire, qui serait candidat au rachat de ces actifs ? À part Ciment du Maroc ou encore Ciment de l’Atlas du groupe Sefrioui, il semblerait que la piste d’investisseurs étrangers n’est pas à exclure. Au-delà, le modèle de la répartition régionale aura-t-il le même sens avec seulement trois opérateurs de taille ? Des questions qui resteront en suspens tant que la fusion n’aura pas été consommée et, surtout, validée par le Conseil de la concurrence, censé avoir le dernier mot.
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