Zakaria Boualem : "Les langues qui sont écrites ne sont pas parlées et les langues qui sont parlées ne sont pas écrites, c’est formidable."

Par Réda Allali

Mes bons amis, Zakaria Boualem vous souhaite la bienvenue. Commençons tout de suite par une bonne nouvelle. M. Chabat, que Dieu lui vienne en aide, a proposé que l’anglais devienne notre seconde langue officielle. C’est une excellente initiative, qu’il convient de saluer avec enthousiasme. On reproche trop souvent aux hommes politiques de notre paisible contrée de manquer d’idées, en voilà donc une.  Mais une telle décision devrait être précédée d’une petite réflexion, et dans le but d’enrichir le débat et de participer à la construction du Maroc moderne, social et andalou, voici un petit bilan linguistique de notre pays. Normalement, cette tâche devrait être réalisée par une commission penchée, mais notre héros, par souci d’économie et d’efficacité, s’y est attelé seul, tel le cheval. Pardonnez-lui donc le manque de rigueur, il fait ce qu’il peut, et merci.

Bilan linguistique, Maroc, début du 21e siècle. Nous avons une langue officielle, l’arabe. Rigoureusement personne ne l’utilise au quotidien pour parler. Nous avons une langue que tout le monde parle, la darija, mais qu’on ne peut pas écrire officiellement. Dans la sphère privée, certains l’écrivent tout de même en caractères latins augmentés de chiffres, ou en caractères arabes. Il paraît même que ce n’est pas une langue. On se demande comment font ceux qui n’ont que celle-là pour passer toute une vie sans langue, mais passons.

Nous avons une troisième langue, elle-même subdivisée en trois catégories, qui est l’amazigh. Elle est aussi officielle, mais n’est écrite nulle part. Il est intéressant de constater que même ceux qui la pratiquent quotidiennement – soit une bonne partie de la population – est incapable de la déchiffrer.

Nous avons une langue qui n’est pas officielle, le français, parlée par une minorité, et qui porte l’essentiel de la communication écrite professionnelle. On ne la parle pas beaucoup, mais on l’écrit souvent, ce qui donne régulièrement quelques attentats visuels sur la devanture des échoppes. De plus en plus apparaît l’anglais qui, paraît-il, nous ancre dans le futur et devrait, selon M. Chabat, intégrer la liste des langues citées plus haut.

Conclusion : les langues qui sont écrites ne sont pas parlées, les langues qui sont parlées ne sont pas écrites, c’est tout simplement formidable, et merci.

Question : comment aurait-on pu faire plus compliqué ? Il est désormais évident que l’organisation de notre pays n’est pas régie par la rationalité, il faut l’accepter sans faire de chichis. Ce n’est pas très grave, finalement. Si on accepte que l’efficacité n’est pas un critère très important, les portes du délire s’ouvrent grand pour accueillir notre puissante créativité. On peut donc militer pour le chinois ou le russe, the sky is the limit, and thank you. Au lieu de viser l’efficacité, il faut plutôt s’intéresser au monde des records, celui de l’absurde, ou de l’irrationnel, nous y avons un vrai avenir.

Zakaria Boualem en était à ce point de son raisonnement, positivant dignement et construisant les bases d’un Maroc moderne, social et méditerranéen, lorsqu’il s’est souvenu d’un prof de sa jeunesse qui répétait souvent que «la langue est la maison de la pensée». On peut donc être positif et se dire que nous avons plein de maisons, c’est d’ailleurs bien le souhait de tous les Marocains. Ou on peut geindre et signaler que nous en sommes encore à essayer de construire notre maison de la pensée pour penser dedans, que nous sommes un peu en retard sur le reste du monde qui a réglé ces problèmes de construction il y a un siècle ou deux. C’est une question d’attitude dans la vie, les deux raisonnements sont valables.

Voilà, c’est fini, le Guercifi vous laisse réfléchir à tout ça, il doit vous quitter, il a quelques langues à apprendre dans les jours qui viennent.

Et merci. Wa Chokrane. Tanmirt Noun. And Thank you. I spasibo. Xièxiè nî. etc.