Les vertus de l’équilibre

Par Abdellah Tourabi

Le Maroc est un pays étonnant sur le plan politique. Quelquefois, on peut y observer des pratiques scandaleuses, des décisions incompréhensibles et des choix politiques et économiques pour le moins contestables. Et parfois on peut y admirer des fulgurances, des orientations rationnelles et intelligentes et des réalisations qui méritent les applaudissements et les encouragements. La refonte actuelle du Code de la famille appartient à la deuxième catégorie.

Il y a tout d’abord la méthode. Contrairement aux trois grandes étapes de la Moudawana (1958, 1993, 2004) où la réforme était verticale, œuvre d’une commission réduite d’experts choisis par le Palais et portée par le roi sous forme de dahir, le projet de refonte actuelle est plus collaboratif et prend en considération les différents avis. Un comité de pilotage a été créé, incluant le gouvernement, les oulémas, la magistrature et des institutions constitutionnelles, pour écouter et rassembler les points de vue et les propositions de la société civile et des partis politiques.

L’un des grands traits de cette refonte, toujours au niveau de la méthode, est la place occupée par le Chef de gouvernement dans la coordination, la présentation des propositions et la défense du projet de loi devant le parlement. La Constitution de 2011 est respectée et il appartient aux élus de la nation de débattre de la réforme, de l’améliorer et de la rendre applicable.

Le roi est intervenu en sa qualité de Commandeur des croyants, pour les questions d’ordre religieux susceptibles de déchirer la société, en se référant au Conseil supérieur des oulémas. Il a joué ainsi son rôle de régulateur du champ religieux et de garant des équilibres, pour qu’aucun camp sociétal ne sorte complètement perdant ni triomphant de ce processus. Les conservateurs et les modernistes comptent alors les points et se contentent des nouveaux acquis ou des arbitrages non perdus.

“Évidemment, quand quand on aspire à un Code de la famille qui met fin à des siècles de domination masculine juridique et qui protège les intérêts des enfants, on ne peut que regretter certains points de la nouvelle réforme”

Abdellah Tourabi

Évidemment, quand on défend une égalité totale entre les hommes et les femmes, quand on aspire à un Code de la famille équitable, qui met fin à des siècles de domination masculine juridique et qui protège les intérêts des enfants (je fais partie de ce camp), on ne peut que regretter certains points dans la nouvelle réforme. Le maintien de l’inégalité en héritage, la consécration de la pratique du taâssib et la non-reconnaissance de l’ADN comme preuve de filiation sont des éléments regrettables dans le prochain Code de la famille. Il faut continuer à les dénoncer et prouver leur inadéquation avec l’évolution de la société marocaine et présenter des alternatives crédibles et raisonnables.

“Les réformes doivent être progressives, prenant en compte la diversité du spectre idéologique et social au Maroc, et évoluer en fonction des capacités d’absorption de la société marocaine”

Abdellah Tourabi

Mais nous ne sommes pas les seuls à vivre dans ce pays. Nous ne sommes plus au début du XXe siècle, quand des élites libérales pouvaient imposer des lois éclairées pour moderniser la société. Les réformes doivent être progressives, prenant en compte la diversité du spectre idéologique et social, et évoluer en fonction des capacités d’absorption de la société marocaine.

Il faudrait donc saluer toutes les nouvelles orientations qui introduisent davantage d’égalité et de responsabilité partagée au sein de la famille (la tutelle juridique commune des époux, la garde maternelle après le divorce…), valorisent la participation de l’épouse dans la constitution du patrimoine familial, sanctuarisent la donation d’un père à ses filles, limitent drastiquement le mariage des mineurs, etc. Ces points sont des avancées considérables et font partie des demandes formulées depuis des décennies par la société civile.

Les frustrations des uns et des autres sont légitimes, et sans mauvais jeu de mots, la nouvelle loi n’est pas parole du Coran, et elle changera en fonction de l’évolution de la société. Désormais, la balle est dans le camp des parlementaires et des politiques pour débattre, parfaire et préciser le contenu de la réforme. Le sujet est tellement important qu’il faudrait aller au-delà de la récupération politicienne et des polémiques populistes et stériles. Le gros du travail a été fait et l’enjeu social ne peut souffrir de déceptions.

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