La monarchie s’est construit l’image d’une institution favorable aux femmes. Le roi Mohammed VI a forcé la réforme de la Moudawana il y a dix ans, et il faut lui en savoir gré. Depuis, une antienne domine dans les milieux progressistes : le roi, et donc la monarchie, seraient plus évolués sur la question des droits des femmes que le reste de la société. Comprenez : il faut soutenir la monarchie contre l’obscurantisme des islamistes.
Mais ce prisme de lecture et la focalisation sur le danger islamiste empêchent de voir une autre injustice : jamais une reine ne pourra diriger le Maroc, selon les règles de la Constitution actuelle. L’égalité entre les sexes a beau être inscrite dans la base de nos lois, elle ne s’applique pas au trône alaouite. L’article 43 de la Constitution dispose que « la Couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent de père en fils aux descendants mâles ». Un état de fait que très peu remettent en cause mais qui a une charge symbolique forte : les femmes ne sont pas là où les décisions sont prises.
Il y a d’abord un paradoxe originel perpétué par le trône, qui fonde sa sacralité sur la descendance de Fatima, fille du prophète, mais qui interdit le pouvoir à une reine. C’est grâce à une femme que la monarchie jouit du statut de commanderie des croyants, mais les femmes s’en sont retrouvées exclues. D’un point de vue religieux, la règle de la primogéniture masculine n’a quasiment pas de fondement. Il y a bien un hadith qui soutient qu’un peuple dirigé par une femme ne connaîtra jamais la prospérité, mais il fait l’objet de nombreuses remises en cause par les oulémas et, surtout, nulle évocation de cette différence entre hommes et femmes dans le Coran. Par contre, il y est fait mention des qualités de Balkis, reine de Saba, une gouvernante éclairée et sage par opposition à Pharaon ou le roi de Babylone, décrits comme les pires des despotes.
Il y a bien ceux qui conspuent le droit des femmes à diriger, non pas pour des raisons religieuses mais ce ne serait pas dans leur nature, disent-ils. A ceux-là, encombrés de stéréotypes, il faut rappeler l’histoire. De grandes reines ont émergé en terre d’islam. Elles étaient guerrières comme Chajar ad-Durr au Caire, qui a pris le pouvoir par les armes et capturé le roi de France, Louis IX. Elles ont assuré la longévité de leur trône comme la Yéménite ‘Arwa qui a régné près d’un demi-siècle. Et plus proche de nous, Sayyida Al Hurra, la gouvernante de Tétouan, qui a exercé le pouvoir pendant 30 ans, leader des pirates de la Méditerranée et alliée de Barberousse.
Toutes les qualités des grandes reines musulmanes (et leurs défauts) ainsi que l’absence de fondement théologique, concourent à prouver que la primogéniture masculine n’est que le stigmate d’une vision patriarcale du pouvoir. Ce dernier est basé sur la tribu et la famille, qui conçoit le pouvoir comme un patrimoine ou un bien. Seuls les hommes en sont garants et se le transmettent. Passer à la primogéniture sans considération de sexe, comme l’ont fait la plupart des monarchies européennes, ce serait envoyer un signal fort à la moitié de la population de ce pays. Les Marocaines peuvent prétendre aux plus hautes fonctions de l’Etat, elles sont capables d’en assumer la charge.