Des leaders d’opinion américains voient le Maroc comme un pays allié et plaident pour le soutien de ses efforts dans la promotion des valeurs de tolérance et de paix. Une bonne nouvelle. S’il n’est pas soufflé par un de nos lobbyistes attitrés de K Street, ce compliment de l’Oncle Sam a de quoi donner du baume au cœur : « Le Maroc est un modèle ». Et pour une fois, il y a matière pour l’étayer. Cette semaine, la Guinée, la Libye et la Tunisie ont spontanément manifesté leur volonté d’envoyer des imams en formation, à l’image des 500 fqihs maliens, actuellement en classe au ministère des Affaires islamiques. L’expertise religieuse marocaine est un concept qui s’exporte bien. Ahmed Toufiq, qui accompagne le roi dans sa nouvelle tournée africaine (qui a débuté par le Mali), devrait donc profiter du périple pour marketter davantage ce cursus « d’exception ». Le royaume a besoin de marquer un maximum de points en matière de diplomatie religieuse sur le continent. Ça compte auprès des grandes puissances.
Aux States, ces chaires d’excellence en islam tolérant nous valent une bonne presse. Un article d’opinion paru dans l’influent mensuel Commentary cite évidemment cette prouesse, évoque l’expérience des Mourchidate menée au Maroc et va même jusqu’à préconiser un déplacement de Barack Obama au royaume. Il pose néanmoins une question qui peut nous mettre dans l’embarras avec des pays amis : « Le Maroc est-il l’antidote du soutien saoudien à l’extrémisme ? ». Voilà qui ne sera pas forcément du goût de nos amis d’Arabie Saoudite, avec lesquels nous partageons tant, surtout leurs investissements libellés en pétrodollars. Ces derniers pourraient voir d’un mauvais œil le « fath » du royaume en terre africaine.
Il est évidemment légitime pour le Maroc de jouer la carte religieuse pour se positionner sur l’échiquier africain. Mais c’est un joker à manipuler avec finesse, de manière à ne pas froisser nos alliés du Golfe. Notre économie reste fortement dépendante des capitaux en provenance des monarchies pétrolières amies. Les aides en provenance de ces pays contribuent à boucler notre budget public, leurs investissements renflouent notre matelas de devises et financent indirectement notre expansion économique dans le continent. D’ailleurs, nos hommes d’affaires ont beau rouler des mécaniques en compagnie du roi en Afrique, la plupart des membres de la délégation sont en business avec des fonds ou des conglomérats installés dans le Golfe. Le Maroc est ainsi en passe de réussir son pari de devenir un hub aiguillant les capitaux du monde vers l’Afrique. Et l’exportation de notre modèle religieux peut s’avérer un atout pour faciliter et accélérer cette implantation. Sauf qu’un usage inapproprié ou manipulé de ce modèle peut se transformer en source d’ennuis, tant avec l’Afrique qu’avec le Moyen-Orient. La religion et les affaires ne font pas toujours bon ménage en matière de politique étrangère.