Entre Essaouira et Agadir, le surf se vit comme une passion, voire une religion. Immersion dans un écosystème qui attire les amateurs de vagues du monde entier.
En ce matin d’hiver, le soleil est à peine levé que la baie d’Imessouane est assaillie par des dizaines de surfeurs. Combinaisons seyantes et planches sous le bras, ils rappliquent un par un ou en petits groupes pour profiter des premières vagues de la journée. Le spectacle ne manque pas d’attirer les badauds, qu’ils soient touristes ou simples pêcheurs. Chacun a pris place sur les terrasses de cafés situés près du port et y va de son petit commentaire. « Dis donc, ça ne rigole pas avec eux, hein ! », pouffe une retraitée européenne qui sillonne le sud marocain en camping-car. « On dirait des membres de la mafia ou les Men in Black », ajoute-t-elle, en désignant un gang de surfeurs russes qui se déplace en marche synchronisée. A peine quelques minutes d’échauffement et les mordus de la glisse se jettent déjà dans une eau à 15 degrés, avec un flegme déconcertant. Au large, les surfeurs se laissent bercer par la houle en attendant le bon moment pour se lancer. De loin, ils ressemblent à des requins qui s’adonnent au jeu du chat et de la souris. Une chasse qui peut durer des heures. « Il y a les plus grandes vagues du Maroc ici. Elles se déroulent parfois sur plus de 800 mètres et quand tu arrives à les prendre, c’est le pied total, une pure montée d’adrénaline. Alors la température de l’eau ou le temps qui passe, ça n’a vraiment plus d’importance», lance Christopher, un touriste américain, avant de faire le grand plongeon.
« Au bon endroit, au bon moment »
En contre-haut du village, se trouve l’école Planet Surf Morocco. Alors que ses élèves ont troqué leurs planches contre une serviette et du thé bien chaud, Tarik Alilou s’occupe de dessaler les combinaisons tout en surveillant du coin de l’œil la cuisson d’un tagine de sardines. Promis à une vie bien confortable dans un bureau, ce Gadiri pur jus a tout plaqué après avoir goûté au surf, dans les années 1990. Depuis, il est accro. Et pour vivre pleinement son addiction, il a décidé d’ouvrir son école face à l’Atlantique, il y a douze ans. Peau tannée par le soleil, cheveux décolorés, sourire ultra-bright en plus d’un tempérament zen et d’une personnalité énigmatique, on le croirait tout droit sorti de Point Break. Pas vraiment loquace, il est plutôt du genre à montrer du doigt l’océan et à dire « observe et comprends ». C’est que l’esprit du surf ne s’intellectualise pas, il se ressent. Ici, de nombreux surfeurs évoquent une communion avec les éléments et un rapport charnel, voire spirituel, avec l’eau. « En fait, c’est une religion », abrège Tarik Alilou qui se montre bien plus causant lorsqu’il s’agit de parler météo, fonds sous-marins ou coefficient des marées. Une fois lancé sur ces sujets, il ponctue toute ses phrases de « hop, hop » et de « tan tan » et plus rien ne peut l’arrêter. C’est que pour être un véritable surfeur, le feeling seul ne suffit pas. Il est primordial d’amasser un paquet de connaissances techniques et de passer du temps à observer l’environnement marin. D’ailleurs, si la vie au grand air dans un village perdu en fait fantasmer plus d’un, cela suppose aussi beaucoup de contraintes. Imessouane, par exemple, ne bénéficie toujours pas d’un réseau d’eau potable. « C’est un endroit pour les puristes. Ce n’est pas tous les jours facile, mais c’est aussi ce qui fait le charme d’Imessouane », estime Tarik Alilou. De toute façon, dans leur quête perpétuelle de la vague parfaite, les surfeurs n’ont pas la fidélité inscrite dans leur ADN. « Nous sommes des nomades. Entre nous, on a coutume de dire : au bon endroit, au bon moment », conclut-il.
L’esprit des seventies
La vague parfaite, justement, est attendue ce week-end à Taghazout, « La Mecque des surfeurs ». Sur place, tout le monde annonce déjà un « swell herculéen » (houle). Particulièrement à la Pointe des ancres, un spot mythique et connu dans le monde entier, situé à l’entrée de la ville. Une bourgade minuscule, apocalyptique dès qu’il pleut plus de trente minutes, où fourmillent près de cinq mille habitants et plusieurs centaines de touristes. Surfshop, Surfcamp, auberges ou snacks, tout, absolument tout est dédié au surf. Même les jeunes de la région qui n’ont jamais mis le moindre orteil sur une planche se décolorent les cheveux à l’eau oxygénée pour se fondre dans la masse. Et, accessoirement, maximiser leurs chances de séduire une touriste. Selon les dires des locaux, le nombre de touristes dépasse largement la barre des quinze mille personnes en été, mais « la haute saison, c’est pour les débutants. Ici, c’est à partir du mois d’octobre et jusqu’en mars que les surfeurs confirmés peuvent s’éclater un peu », affirme, avec dédain, Hakim, venu de Paris pour un surf trip d’une semaine. En attendant le grand jour, la plupart des surfeurs ont investi d’autres spots à quelques kilomètres de là, notamment Imourane et Devil’s Rock, appréciés des novices et des plus expérimentés.
Sur la plage, Brahim, un moniteur de surf quadragénaire, montre les mouvements de base à un couple irlandais. « Le plus difficile c’est d’apprendre à se mettre debout. Mieux vaut être souple et agile », explique Brahim, pédagogue. Natif de la région, il a passé sa jeunesse à écouter Nass El Ghiwane et, il l’avoue en souriant, fumer des pétards avec ses copains. De son passé de hippie, il a gardé la longue chevelure, la barbe foisonnante et quelques bribes de souvenirs, notamment celui du jour où il a vu un homme surfer pour la première fois : « Un acte synonyme de liberté », selon lui. C’est alors que Brahim décide de fabriquer une planche avec du bois et d’apprendre à surfer. Plus tard, au début des années 2000, il monte avec quelques amis la première école de surf du coin, reconnue ensuite par la Fédération royale de surf. « Ils ont mis du temps avant de nous accorder un statut officiel. A l’époque, la fédération avait seulement de la considération pour les écoles de Rabat et Casablanca », se souvient-il. Depuis, plus d’une quarantaine d’écoles ont vu le jour à Taghazout.
Le surf a longtemps été assimilé aux hippies, aux marginaux et à un mode de vie bohème fait de camping sauvage et de soirées au coin du feu. Taghazout n’échappe pas à la règle, ici aussi la pratique de ce sport a débuté dans les années 1970, avec l’arrivée des premiers touristes australiens et américains. A l’époque, le village n’existait même pas. « Il a été construit plus tard par les gens descendus des montagnes, sans que les autorités ne soient vraiment au courant », raconte Brahim.
La fin d’un paradis ?
Aujourd’hui, même si la plupart des surfeurs qui viennent ici sont souvent des citadins avec d’excellents jobs, cela ne les empêche pas de continuer à perpétuer l’esprit des seventies. Sauf que les soirées Bob Dylan ont laissé place aux soirées Gnaoua et le camping sauvage a été interdit. L’essor du tourisme et le business du surf ont également permis aux locaux de gagner un peu d’argent et de vivre dignement. « Sans ça, je ne pense pas que j’aurais pu dégoter un travail et m’accomplir », estime Abdellah Bennani, un jeune du village. En plus d’être shapper (réparateur et fabricant de planches), il s’investit depuis plusieurs années au sein de deux associations, l’une pour la protection du littoral et l’autre pour entraîner les jeunes surfeurs du coin à la compétition. « Notre terrain de jeu à nous, c’est l’océan. Il est temps de se l’approprier pour former une nouvelle génération de champions », poursuit Abdellah Bennani. Seule ombre au tableau, Taghazout Bay, un immense projet immobilier qui risque de dénaturer la côte à jamais. Etalée sur trois kilomètres, la station balnéaire regroupera hôtels de luxe, restaurants étoilés, des dizaines de magasins, un golf et un village dédié aux surfeurs. Pour l’instant, les constructions ne sont pas encore sorties de terre mais l’inquiétude pointe déjà chez les habitants. Et s’il est certain que Taghazout Bay attirera un grand nombre de touristes, les habitués de La Mecque du surf envisagent déjà de nouveaux lieux de pèlerinage.