Connu pour être le village le plus pauvre du Maroc, Sidi Ali n’a rien à voir avec la source d’eau minérale bien connue. Ici, la sécheresse prive les habitants du moindre horizon.
Sidi Ali ? Jamais entendu parler de ce coin ». A Erfoud, dans le Tafilalet, personne ne semble connaître ce village situé à 160 kilomètres de là. Et encore moins la route à suivre pour s’y rendre. « La source ?
C’est près de Fès », assure un énième passant interrogé.
De quoi douter de l’existence de cette localité, qui caracole en tête du palmarès des villages les plus pauvres du Maroc depuis
bientôt dix ans, selon le Haut commissariat au plan.
C’est finalement un chauffeur de taxi qui nous indiquera le chemin. Il nous conseille d’aller jusqu’à Rissani, à 20 kilomètres d’Erfoud, puis d’attendre la venue du seul khettaf (transporteur clandestin) qui fait la navette jusqu’à Sidi Ali trois fois par semaine. Pour 35 dirhams, vous aurez droit à quatre heures de cahots dans un décor digne d’un western, exception faite de quelques détails locaux : jerricans jonchant le sol, traces de pas de dromadaires, campements de Touaregs entre soleil et néant. Aucun panneau et aucune borne kilométrique n’indiquent l’existence de Sidi Ali. Soudain, au bord de la piste, le village se profile. Le chauffeur du minibus, un natif de la région, explique que la commune doit son nom à un cimetière éponyme, situé à proximité. C’est dire le présage.
« On attend la mort »
En cette fin d’après-midi, les rues du village sont aussi désertes que le paysage alentour. On s’attend à voir l’activité reprendre au moment où le soleil s’estompe, comme c’est la coutume dans les régions chaudes. Il n’en n’est rien. De jour comme de nuit, les 3000 habitants de Sidi Ali vivent dans une sorte de couvre-feu perpétuel. « Les gens n’ont rien à faire dehors », nous répète-t-on dans le village. Il suffit d’y faire un tour pour s’en convaincre : hormis quelques équipements de base, il n’y a que le désert. Seul le triptyque « Allah, Al Watan, Al Malik », peint en blanc sur une colline avoisinante, rappelle que l’on est bien au Maroc.
« Ici, nous attendons juste la mort », lâche un habitant. « Avant, nous produisions des dattes, du cumin, du henné, mais l’eau se fait de plus en plus rare. Et quand on en trouve, elle est salée », se désole notre interlocuteur. C’est pourquoi des camions-citernes de la commune sillonnent Sidi Ali afin de fournir les habitants en eau potable. Aujourd’hui, la production agricole du village frôle à peine l’autosuffisance. La sécheresse et la désertification, qui s’aggravent d’année en année, ont fini par anéantir la quasi-totalité des plantations de la région.
En 2010, trois associations ont été créées par l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) en partenariat avec l’INDH, pour promouvoir la restauration et le nettoyage des fossiles, la tapisserie et les produits du terroir, dont le cumin et le henné. En somme, pour soutenir l’économie locale vacillante. Peine perdue.Trois ans plus tard, elles produisent à très faible volume et n’emploient qu’une trentaine de personnes.
Objectif exode
Pour les jeunes, qui constituent la moitié de la population, les perspectives d’emploi sont très minces. A part une mine de barytine située à quelques kilomètres et les plantations de palmiers dattiers, le village n’offre aucun débouché. Certains héritent du maigre cheptel de leurs parents, tandis que les autres migrent vers des horizons plus cléments. « Mais ils finissent majoritairement vendeurs de fossiles à Merzouga », déplore Houcine, un habitant de Sidi Ali. Seule une petite caste de jeunes reconvertis dans la chasse aux météorites parvient à échapper à la misère. Le prix de vente au gramme oscille entre 800 et 5000 dirhams, voire plus quand il s’agit d’une météorite provenant de Mars. La nuit, l’œil rivé à leur téléscope, ils recensent les roches extraterrestres tombées dans les environs, puis vont les récupérer le lendemain. Un travail dont les jeunes du village parlent l’œil brillant de convoitise, regrettant de ne pas disposer du matériel requis pour s’y lancer eux aussi. Un rêve pour les jeunes de Sidi Ali, dont « le niveau scolaire dépasse rarement le primaire », précise Houcine.
Les collèges et lycées les plus proches se trouvent à Rissani, à plus de 130 kilomètres. Seuls les rares privilégiés possédant de la famille à la ville peuvent y poursuivre leurs études. Quant aux deux écoles primaires du village, elles accueillent chacune environ 130 élèves. « Autrefois, les enseignants fondaient en larmes quand ils arrivaient en poste dans ce patelin isolé, loin de leurs proches. Ce n’est qu’avec l’installation du réseau mobile et Internet que les choses se sont un peu améliorées », nous confie un instituteur d’une de ces écoles.
Le village est aussi relié au réseau électrique depuis quelques années déjà. « Même dans le noir, la main sait où mettre la bouchée. Ce qu’il nous faut, c’est de
l’emploi », tranche ironiquement Houcine. Situé à mi-chemin entre Erfoud et Zagora, Sidi Ali constitue une zone de transit pour les touristes. Mais les trois auberges du village n’accueillent que quelques rares hôtes et sont contraintes d’exercer dans l’illégalité. « Il est extrêmement difficile d’obtenir des autorisations », s’insurge Ould Ali, notre khettaf, qui ajoute : « Les gens, découragés par la lenteur des démarches, construisent sans attendre que les formalités administratives aboutissent ». Il y a quelques années, le comité soulaliyine, chargé d’enregistrer les propriétés collectives, avait rendu visite aux habitants pour recenser leurs terres et leur accorder des titres de propriété. Face à l’ampleur de la tâche, il a tout simplement renoncé.
Même pas un médecin
En matière de santé, le dispensaire de Sidi Ali est doté, depuis quelques mois, d’équipements modernes. Seul bémol, il n’y a aucun médecin pour s’en servir. Une infirmière gère les consultations et traite les cas courants : grippes, angines, piqûres de scorpion… « Quand je me trouve devant un cas difficile, je téléphone à une consœur de l’hôpital d’Errachidia », explique-t-elle. Et d’ajouter que « les habitants n’acceptent de venir en consultation que parce que les soins et médicaments de base sont gratuits. Quand ils sont obligés d’en acheter, ils préfèrent se rabattre sur la médecine traditionnelle ». Pour les accouchements, les femmes expérimentées du village font office de sages-femmes. Ce qui n’empêche pas les imprévus, nécessitant des déplacements à Rissani, durant lesquels « beaucoup de femmes meurent. L’ambulance, peu adaptée aux pistes cahoteuses, n’atteint Rissani qu’au bout de trois heures », témoigne Houcine.
« La priorité du moment, c’est la route qui nous relie à la commune de Mcissi, qui a été entamée en 2010, sans grand avancement », se désole Lahcen, président de la commune de Sidi Ali. Fils de Ould Ali, il a fait tout son cycle primaire au village, puis a poursuivi au collège de Rissani. Contrairement aux autres habitants de la commune, il refuse de se laisser aller au pessimisme : « Une fois la route construite, les choses auront plus de chances de s’améliorer. Et avec un plan d’acheminement de l’eau, nous pourrons facilement recouvrer notre production agricole d’antan ». Pour l’heure, à Sidi Ali, seul l’espoir est permis.
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