Elections. Le calendrier de Hassad

Vous n’avez pas voté en 2013 et vous ne le ferez pas en 2014. Il faudra attendre l’été 2015 pour se débarrasser des actuels conseils locaux et de la Chambre des conseillers. Mohamed Hassad, le nouveau ministre de l’Intérieur, aura du pain sur la planche. Explications.

Pour sa première sortie au parlement, Mohamed Hassad, le ministre de l’Intérieur, a lancé un sacré pavé dans la mare. Le 28 octobre, en pleine séance des questions orales, il a annoncé que les élections communales n’auront pas lieu en 2014. Et il a fallu attendre toute une semaine pour qu’il fournisse plus de détails. Le 4 novembre,  en commission de l’Intérieur, le successeur de Mohand Laenser précise que les élections communales se dérouleront en juin 2015. En attendant, tout l’arsenal juridique commencera à atterrir au parlement dès ce mois pour être débattu et adopté en 2014. Sur une trentaine de textes, on retrouve pas moins de cinq lois organiques. Cette annonce-choc n’a pas manqué de susciter une polémique au sein des partis politiques. Y compris au sein du PJD, où Abdelilah Benkirane a été pris à partie par certains dirigeants. Au sein de l’opposition, le ton est plus dur, notamment du côté de l’Istiqlal et de l’USFP.

Laenser nous aurait-il menti ?

Le dépit exprimé par la classe politique est quelque part compréhensible. En avril 2013 Mohand Laenser, ancien ministre de l’intérieur, déclarait que son département était “techniquement prêt à 90%”. Aujourd’hui, son successeur remet le compteur à zéro et annonce un report de deux ans. “Laenser ne parlait en aucun cas des textes de loi, mais de la capacité de son département de tenir les délais”, explique une source au ministère de l’Intérieur. “Fixer la date des élections relève du ressort du Chef du gouvernement, qui doit auparavant consulter les partis de sa majorité et ce n’est pas à un ministre technocrate de le faire”, réagit Driss Lachgar, premier secrétaire de l’USFP. “Ce gouvernement et le parti qui le dirige n’ont pas tenu leur engagement vis-à-vis du peuple”, poursuit le premier secrétaire de l’USFP. Hamid Chabat adopte un ton encore plus virulent pour critiquer la dernière sortie du ministre de l’Intérieur. “S’il y a quelqu’un à blâmer, c’est Benkirane. C’est lui le responsable de tout l’Exécutif”, nous déclare le patron de l’Istiqlal, qui appelle carrément à des élections

législatives anticipées “qui déboucheront sur un gouvernement politique”. Chabat nous révèle même les dessous de plusieurs rencontres au sommet des partis de la majorité autour de la question des élections : “C’était en novembre 2012. Abdelilah Benkirane a dit clairement que les élections communales n’étaient pas une priorité. Mohand Laenser a donc pris ses dossiers et les a rangés quelque part”.

Les 12 travaux de Hassad

Mais à quoi fait allusion Mohamed Hassad quand il parle d’un paquet d’une trentaine de textes de loi ? “Ce sera essentiellement de simples décrets, éventuellement sur la révision des listes électorales, la carte d’électeur… Mais le gros du travail consistera dans la préparation de cinq lois organiques”, affirme un député de la majorité. “Il nous faut dans un premier temps la loi organique sur la régionalisation, et une autre sur le découpage électoral qui se fera sur la base de la première”, explique Driss Lachgar. Hamid Chabat, lui, juge que l’une des priorités sera la loi organique portant Charte communale. “Nous avons l’obligation de voir d’abord à quoi ressemblera la carte du pays et le devenir des grandes villes, où le système de l’unité de la ville a montré beaucoup de défaillances”, estime le secrétaire général de l’Istiqlal qui soulève un autre point d’une extrême importance. “Avant tout, il faut organiser le recensement général de la population, qui se fait tous les dix ans, et dont dépend en gros tout effort législatif relatif aux élections. Je défie Abdelilah Benkirane de nous dire comment il va procéder”, lance Chabat. Driss Lachgar revient à la charge pour montrer le “peu de bonne volonté” du Chef du gouvernement. “Je l’ai dit et je le répète : entre le 1er juillet et le 25 novembre 2011, nous avons pu organiser un référendum et des élections législatives. Pourquoi n’est-ce plus possible avec Abdelilah Benkirane ?”, s’interroge le dirigeant ittihadi. Mais une source au ministère de l’Intérieur se veut rassurante et explique que la majorité des projets de loi sont à “un stade bien avancé” alors que les lois organiques nécessiteront plus de temps. Car, avant de les mettre en chantier, Mohamed Hassad tiendra des réunions de concertation avec tous les partis politiques. “Généralement, c’est ce qui doit se faire, mais nous n’avons aucune visibilité”, commente un député du PAM. 

Le piège de la régionalisation

Le plus gros point d’achoppement reste le chantier de la régionalisation. En 2012 déjà, les élections ont été reportées en attendant qu’un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur le développement économique des régions du sud soit remis au roi. A présent que c’est chose faite, à quoi faut-il s’attendre ? “En principe, nous devons nous concerter autour de la loi organique sur la régionalisation. C’est la loi dont tout dépendra”, affirme Hamid Chabat. Mais pour cela, tout le monde guette le feu vert du Palais. “L’Etat prendra son temps pour les besoins de ses réglages administratifs, voire sécuritaires, et cela ne concerne pas que le Sahara”, commente un député de l’opposition. “Il n’y a pas de raison à ce que la loi sur la régionalisation continue à constituer un blocage. L’Etat dispose d’une importante base de travail avec le rapport de la commission Azziman et les concertations antérieures avec les partis politiques”, rectifie un élu de la majorité. Mais il n’y a pas que la loi sur la régionalisation qui grippe la machine. D’autres aspects plus techniques s’inviteront au débat. Des partis politiques pourraient demander que l’on autorise les électeurs à voter sur simple présentation de leur carte d’identité. Et certains prévoient même d’aller plus loin. “La classe politique, à droite comme à gauche, évite le débat sur le mode de scrutin. Pourquoi personne n’appelle à un scrutin à deux tours capable de déboucher sur de vrais pôles ?”, analyse un spécialiste des élections. “Nous sommes prêts à sonder toutes les pistes et discuter de tout, y compris le vote électronique”, réagit un élu PJD. Et puis, Mohamed Hassad aura à gérer d’autres casse-tête : au-delà des MRE qui réclament une réelle participation politique, le ministère de l’Intérieur songerait à préparer un nouveau cadre juridique permettant aux étrangers installés au Maroc de participer aux élections locales. 

Echéance. Tous hypocrites ?

“Il faut arrêter de se voiler la face et arrêter cette hypocrisie ! Les partis politiques ne sont pas prêts à tenir le pari des élections. Un seul homme comme le ministre de l’Intérieur ne peut pas imposer sa volonté à plus de trente partis”, accuse Abdelaziz Aftati, député PJD. “Il se trouve peut-être même que des milieux de ce que j’appelle l’Etat profond ne veulent pas d’élections dans les délais prévus initialement. Ils redoutent la popularité du PJD qui est restée intacte”, poursuit Aftati. En attendant les élections de 2015, nous aurons fonctionné avec des conseils élus avant la Constitution de 2011. Et surtout avec une deuxième chambre anti-constitutionnelle, tant dans sa composition que dans son fonctionnement. En plus du non-renouvellement du tiers sortant qui était prévu en 2012, deux conseillers sont décédés en 2013. Le Conseil constitutionnel a déclaré leurs sièges vacants mais a refusé que les défunts élus soient remplacés…  

 

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