Le musulman moyen…

Par Karim Boukhari

Comme on pouvait le craindre, l’affaire du film Innocence of muslims est loin d’être finie. La colère du musulman moyen, cet être continuellement au bord de l’implosion, déborde de partout. Et elle est toujours aveugle, cette colère, ciblant tout et n’importe quoi. Hier c’étaient les Etats-Unis, aujourd’hui c’est autour de la France de trinquer. Après Obama, c’est Hollande. Comment cela ? Nos confrères de Charlie hebdo viennent d’en remettre une couche exploitant l’affaire du film pour publier, en pages intérieures, une caricature du prophète, encore une, ni plus “méchante” ni plus malvenue que les précédentes. Il n’en fallut pas plus pour que la France, dans ses représentations les plus officielles, devienne à son tour une cible potentielle pour la colère aveugle des “musulmans”. Colère ? Plutôt folie. Et le Maroc, évidemment, n’est pas épargné.

Un ami m’a rapporté ceci : “Ma fille de 10 ans est venue me voir pour me demander “Papa, pourquoi Hollande s’attaque-t-il à notre prophète ?”. C’est ce qu’on lui a dit, à l’école…”. Le grand public, c’est-à-dire Monsieur tout le monde, le musulman moyen, ne connaît pas Charlie hebdo. Il ne sait pas que le journalisme satirique est un genre à part, tout à fait respectable. Il ne sait pas, non plus, que “notre prophète” et “notre religion”, pour reprendre une terminologie courante, ne sont pas les seules sources de rire et de moquerie plus ou moins de bon goût. Il ignore que l’interdiction de représenter le prophète ou de railler l’islam est une loi valable seulement en terres d’islam, pas dans le reste du monde (et les terres d’islam ne représentent qu’une petite partie du globe, n’est-ce pas). Il ignore, surtout, et c’est sans doute le plus dramatique, que dans un pays libre un article et une caricature expriment le point de vue et la sensibilité d’un individu et pas d’un pays. Ce n’est pas le gouvernement américain et ses représentations diplomatiques dans le monde qui ont réalisé Innocence of muslims. Ce n’est pas, non plus, François Hollande et ses ministres, ou ses ambassades et ses écoles dans le monde, qui ont caricaturé le prophète. Mais allez expliquer cela au musulman moyen dont les nerfs sont décidément à vif, un être dont la sensibilité et la susceptibilité dépassent largement la moyenne mondiale, un être, donc, qui n’a aucun sens de l’humour, aucune notion d’autodérision ou de distance critique, un “enfant” toujours sur le point de craquer, de déraper, qui se croit très spécial et se prend pour le centre du monde, prêt à s’enflammer dès l’instant où l’on titille ses points ultrasensibles ou l’on raille sa singularité.   

Je reviens d’un voyage en Espagne où il m’a été donné de rencontrer certains responsables politiques du parti au pouvoir, le Partido Popular. L’un d’eux m’a dit ceci : “Chaque fois que la presse espagnole publie un article déplaisant (pour le Maroc), c’est le gouvernement qui paie, comme s’il en était responsable”. En 2010, rappelez-vous, deux millions de Marocains (en dehors de la Marche verte, c’est le plus grand rassemblement jamais organisé à l’intérieur du territoire marocain) avaient défilé dans les rues pour protester “contre l’Espagne”. Pourquoi donc ? Eh bien parce que certains journaux espagnols avaient publié de fausses informations sur le soulèvement de Laâyoune, plus connu par les événements de Gdeim Izik, quelques jours auparavant. Quand le ridicule atteint de telles proportions, il ne tue certes pas, mais il fait peur. Très peur.

Pour revenir à l’actualité, le musulman moyen se sent aujourd’hui attaqué par deux des plus grandes nations du monde : l’Amérique et la France. Juste ciel ! Cela légitime, à ses yeux, toute action entreprise contre les représentations liées à ces deux pays. Ce n’est pas le silence des autorités politiques et religieuses dans le monde musulman qui risque de le persuader du contraire. Chefs d’Etat, leaders politiques et religieux, tout ce petit monde se tait, de peur que le moindre appel à la raison ne soit interprété (par ce fameux musulman moyen) comme un ralliement aux forces du mal. Nous en sommes là.