Tout le monde semble avoir oublié Mohamed Rachid Chrii, emprisonné pour ses idées avant d’être gracié en 2004. TelQuel est allé à sa rencontre, dans la capitale des Abda.
Dans la ville, tout le monde le connaît : le cireur, le garçon de café, l’imam, l’édile, le cadre BCBG. Mohamed Rachid Chrii n’est pas une star de foot ou de cinéma. “Si Rachid”, comme ils l’appellent, est plutôt un héros local : aux yeux de la majorité des habitants de cette cité phosphatière, il incarne la lutte contre l’arbitraire des puissants. Une cause pour les droits du « petit » peuple qui lui a coûté cher (humiliations, tortures, emprisonnement) mais qu’il continue de défendre.
La vie de Chrii a basculé le 22 avril 2003. Les souvenirs de cette journée sont restés gravés au fer rouge dans la mémoire du militant. Il marchait tranquillement à Saniat Zine El Abidine, le quartier populaire où demeurent ses parents, lorsqu’il a vu cinq policiers s’acharner sur un jeune de la 7ouma (quartier). Révolté, “Si Rachid”, alors membre de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), s’interpose. Son intervention n’est pas du goût des hommes en uniforme et, dès le lendemain, il est arrêté près de son lieu de travail, dans la commune voisine de Zaouia. Le chef d’accusation ? Outrage à policiers.
Militant forever
A l’issue de son procès, qui a suscité l’indignation générale au Maroc comme à l’étranger, il est condamné à 18 mois de prison. “Tout le monde savait que ma condamnation avait été orchestrée pour mettre fin à mes activités associatives et syndicales. Et, surtout, pour intimider les autres militants”, soutient Rachid Chrii. Quelques mois plus tard, le 7 janvier 2004, il sera gracié en même temps que d’autres détenus d’opinion, le jour-même de la mise en place de l’Instance équité et réconcilitation (IER). Bien qu’il ait subi les pires sévices durant son incarcération, il n’a rien perdu de sa détermination.
Si l’homme a aujourd’hui quelques cheveux blancs, son engagement n’a pas pris une ride. Nous le retrouvons à proximité du marché de la médina, au siège de la section locale du Centre marocain des droits de l’homme (CMDH), dont il est le président. Et à ce titre, il est très sollicité. Pour preuve, l’amoncellement de paperasse dans son bureau : dossiers nécessitant des enquêtes, des plaintes par milliers, des rapports… C’est que Rachid Chrii est devenu une sorte de “Saint Patron” des causes désespérées, un Diwan Al Madhalim à lui tout seul. Son téléphone n’arrête pas de sonner : les appels à l’aide de citoyens des 4 coins de Safi et de la région auxquels Rachid n’hésite pas à répondre. Et lorsque la situation le requiert, il saute dans sa voiture pour aller sur le terrain. Il y a quelques mois, suite à une de ses notes, une commission est venue inspecter la prison locale et sanctionner son directeur. Plus récemment, un de ses rapports a généré l’ouverture d’une enquête sur la gestion de la commune de Safi.
Electron libre
Il faut dire que la seule véritable obédience politique de Chrii, c’est le militantisme. Avant de se retrouver à la tête du CMDH, il a roulé sa bosse dans plusieurs structures associatives et politiques. Après avoir été un des membres les plus actifs de l’AMDH à Safi, il quitte l’association en 2005. “J’ai fini par me sentir à l’étroit avec des gens qui mettent en avant la politique, aux dépens des questions de fond. Surtout que si vous n’épousez pas la ligne du courant dominant, vous êtes combattu et marginalisé”. Il a aussi transité par ATTAC et la CDT…avant d’atterrir au PAM, dont il a été le patron local jusqu’en en 2010, quand il a “constaté que le parti souffrait de graves dysfonctionnements en termes de performance et d’efficacité de ses élus”.
Même le Mouvement du 20 février ne trouve pas grâce à ses yeux. Rachid Chrii raconte d’ailleurs qu’il n’a jamais pris part aux marches dominicales du M20, bien qu’il ait participé au départ à la réflexion de ses membres, notamment concernant le seuil des revendications et la nature des slogans. “Un jour, dans une manifestation contre le despotisme, j’ai vu un petit vieux brandir le portrait du roi. Le comble de l’absurde !”, ironise le militant, qui a refusé par ailleurs que certains se servent de son nom ou de sa présence comme d’un label. Pour lui, le M20 et, d’une façon plus générale, les mouvements de revendication doivent se concentrer sur les fondamentaux et mettre de côtés les conflits d’ego.
Un papa comme les autres
Cet apaisement qu’il prône, Rachi Chrii le cultive également dans sa vie personnelle. Au quotidien, le rebelle est devenu un père de famille rangé : un an après sa sortie de prison, il s’est marié, et de cette union sont nés trois enfants, auxquels il consacre tous ses week-ends. Il a aussi troqué sa moto contre une petite berline, plus pratique pour conduire ses bambins à l’école, et habite désormais dans un nouveau quartier résidentiel de Safi. “Mais ne vous inquiétez pas, je n’ai pas mal tourné !”, anticipe notre homme, qui a acquis sa voiture comme son appartement grâce à des prêts qu’il rembourse encore.
Rachid se fait un devoir d’être chaque jour très tôt à son poste de secrétaire général de la municipalité de Safi. Et s’il est désormais une des figures les plus en vue de la ville, il n’a pas pris le melon pour autant. En parfait ould cha3b, il ne manque pas de faire un crochet du côté du quartier de son enfance, Saniat Zine El Abidine, où habitent encore ses parents. Des nouvelles de Saïd, le jeune qu’il a voulu défendre en 2003 ? “Je le vois toujours. Il n’a pas de travail, comme des dizaines de milliers de jeunes, c’est ce qui m’attriste.”
Last but not least, Chrii souhaite écrire un livre sur le calvaire qu’il a vécu lors de son séjour en prison. Il faut dire qu’il se rappelle les moindres détails de ces huit mois passés derrière les barreaux. Il se souvient aussi des multiples grèves de la faim qu’il a observées pour défendre ses droits de détenu d’opinion. Mais s’il a beaucoup de mauvais souvenirs de cette période, il en a aussi de “bons”. “Les prisonniers que j’ai côtoyés sont loin de l’image négative que l’on peut se faire des taulards”. Le jour où il a quitté la prison de Benahmed, ses compagnons d’infortune sont tous venus le saluer, au grand dam du directeur du pénitencier pressé de se séparer de ce détenu encombrant. “Je leur ai promis de parler des drames des prisons et je tiendrai parole”. Bonne continuation, l’ami.
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