Web. La saga des frères Guennouni, fondateurs du site d'information Hespress

Par Omar Radi

Avant de se hisser dans le Top 10 des sites les plus visités par les internautes marocains, Hespress a d’abord été un portail d’information artisanal. Chronique d’une réussite fulgurante.

De toute évidence, se rendre sur Hespress.com est devenu un quasi-réflexe chez les Marocains : le pionnier des sites d’information du royaume est consulté par un internaute sur cinq. Exit le travail artisanal et militant des premiers temps. C’est désormais un véritable staff de professionnels qui œuvre dans les coulisses de cette affaire désormais rentable. Selon plusieurs outils statistiques, ce portail dénombrerait plus de 400 000 visiteurs chaque jour. Ses propriétaires, Amine et Hassan Guennouni, en revendiquent plus d’un million quotidiennement. Et malgré l’explosion qu’a connue le secteur de la presse électronique marocaine, les nouveaux venus n’ont pas pu détrôner cette machine au fonctionnement bien huilé. Avec son réseau de correspondants, les informations des régions, très prisées, y tombent souvent avec une longueur d’avance sur le reste des sites Internet.

Remember le sniper de Targuist

En 2007, au moment de la création de Hespress, l’affaire a commencé tout doucement autour d’un certain Taha Hamdouchi, pseudonyme employé par le responsable du site, qui préfère garder le mystère sur son identité réelle. Le portail, présenté comme une alternative aux médias classiques, n’est pas vraiment pris au sérieux par le monde de la presse traditionnelle, méfiante à l’égard de ce site alimenté essentiellement par des blogueurs disséminés aux quatre coins de la planète.

Mais dès ses premières publications, Hespress a su se distinguer. Les vidéos du sniper de Targuist, qui ont été très regardées, et la couverture des évènements de Sidi Ifni en juin 2008 ont permis de mesurer le poids et l’impact de la presse électronique. Le site, qui constitue un espace libre pour la diffusion de données souvent absentes dans la presse écrite, voit son audience croître très rapidement. Ces premières performances seront confortées ensuite par l’ouverture aux chroniqueurs et le lancement d’une rubrique humoristique appelée “Trigil” (moqueries, ndlr), qui connaît un franc succès.

Résultat : le nombre d’utilisateurs n’a cessé d’augmenter, malgré l’absence d’esthétique et le design chargé de cette plateforme peu ergonomique. Avec une moyenne de dix mises à jour quotidiennes, l’internaute en quête de nouveautés est sûr de lire sur Hespress des informations qu’il ne trouvera pas ailleurs. Des scandales dans les régions aux procès politiques, en passant par les nouvelles sportives, tout y passe. Et l’intérêt des lecteurs se ressent de manière indéniable dans les commentaires postés. “Parfois, les commentaires sont plus importants que les articles eux-mêmes”, explique Hassan Guennouni, cofondateur du site. Il arrive même qu’on se fasse corriger ou compléter certaines informations”.

Hassan, 24 ans, n’avait même pas vingt ans quand il s’est lancé dans l’aventure aux côtés de son frère, Amine, diplômé en informatique et en gestion. Au départ, au moment du lancement du projet, les deux compères avaient choisi de ne pas révéler leur identité. “Nous pensions que l’anonymat attirerait plus l’attention et la curiosité des gens. La suite nous a donné raison”, poursuit ce jeune entrepreneur, ravi par la tournure qu’ont prises les choses.

Les golden boys de la Toile ?

Pour assurer sa viabilité, le site Web a tablé dès le départ sur les revenus de la publicité à travers Adsense, l’outil de réclame du géant Google. Mais l’exploitation reste artisanale et les contributeurs ne sont payés que via des agences de transfert d’argent. “En 2009, nous nous sommes structurés en créant une société et en recrutant des journalistes professionnels”, raconte Hassan Guennouni. à la rédaction, située au quartier de l’Océan à Rabat, une équipe de sept salariés veille désormais à l’alimentation du portail en informations. Deux d’entre eux se consacrent plus particulièrement à la correction et à l’éditing des articles, avant de les publier.

L’entreprise vient également d’acquérir son propre serveur et de déposer une demande auprès du ministère de la Communication pour obtenir des cartes de presse professionnelles. Il faut dire que Hespress a su se développer et diversifier ses sources de revenus. “Nous comptons de moins en moins sur la rémunération de Google Adsense. Désormais, nous vendons également des espaces publicitaires aux agences marocaines, de plus en plus demandeuses”, explique le jeune Guennouni. Selon lui, la publicité permet à Hespress de générer un chiffre d’affaires pouvant atteindre 150 000 dirhams par mois.

Si le Web peut propulser une entreprise sur les devants de la scène en un temps record, c’est aussi une jungle impitoyable où la compétition est rude. Ceux qui se contentent de se reposer sur leurs lauriers s’essoufflent et deviennent des proies faciles pour la concurrence. Les Guennouni brothers, conscients de cette dimension éphémère de la bulle Internet, ne relâchent pas leurs efforts. Ils préparent déjà une nouvelle maquette et comptent lancer en parallèle des applications pour mobile.

Par ailleurs, ils souhaitent renforcer le contenu multimédia du site. “Nous voulons nous donner les moyens de produire du bon contenu, comme des reportages vidéos”, déclarent ces jeunes loups de la Toile. De plus, le duo Guennouni ainsi que leur équipe veulent aussi capitaliser sur leur expérience et anticiper sur l’avenir en transformant leur société en régie publicitaire. Ce qui les positionnerait comme intermédiaires entre les annonceurs et le reste de la presse électronique. Bon vent.

 

Internet. Demain la pub

Alors même qu’elle n’était pas prise en considération au départ, la presse électronique a dorénavant son mot à dire et commence même à attirer l’attention des politiques et des annonceurs. Pour la publicité, toutefois, beaucoup reste à faire et le bilan est mitigé. Hespress et les deux ou trois autres mastodontes du Web marocain accaparent la part du lion en termes d’annonces publicitaires. “Mais les recettes pub restent modestes. Nous survivons grâce aux annonceurs étrangers, vu qu’une partie de notre lectorat est issue des pays du Golfe ou d’Amérique du Nord”, explique Amine Guennouni, cofondateur de Hespress. Mais avec le lancement d’un débat national sur la presse électronique, enclenché par Mustapha El Khalfi, le nouveau ministre de la Communication, les annonces publicitaires à l’adresse des publications électroniques risquent de mieux se structurer. Les principaux sites Web envisagent d’ores et déjà de se constituer en association, voire en syndicat, pour défendre leurs intérêts, à l’instar de la Fédération marocaine d’éditeurs de journaux (FMEJ) dédiée à la presse “papier”.