L’expert en économie et ancien ministre fait le point sur la Loi de Finances 2012.
Le projet de budget 2012 interpelle l’observateur à plus d’un titre. C’est le premier exercice budgétaire du nouveau gouvernement, dont le parti dirigeant (le PJD) n’a épargné aucun effort pour multiplier les promesses d’accélération de la croissance économique, de bonne gouvernance et de satisfaction de la soif de justice sociale exprimée à travers de multiples actions collectives. La confection de ce budget souffre également de la conjonction de deux crises : une mondiale, à caractère structurel, et l’autre, conjoncturelle car liée à la très faible pluviométrie qui caractérise la saison agricole en cours. C’est dire combien le projet risque de décevoir l’opinion publique, ou tout au moins de ne pas atteindre les objectifs qu’il s’est assignés.
De fait, on constate qu’il est bâti sur des hypothèses peu réalistes. D’abord en matière de croissance économique, le taux de 4,2% retenu pour estimer notamment les rentrées fiscales ne reflète en rien la réalité du terrain et ignore les prévisions d’institutions nationales (Bank Al-Maghrib) et internationales, qui tablent sur un taux de croissance économique inférieur à 3%. Ensuite, le déficit budgétaire, qui est fixé à 5% —bien au-delà de la “norme” néolibérale des 3%—, risque d’être beaucoup plus important, vu la forte élasticité des recettes fiscales par rapport au taux de croissance économique et la forte pression à la hausse du prix du pétrole à l’international. Le baril va sans doute dépasser la barre des 100 dollars, retenue par les concepteurs de la Loi de Finances et ce, en raison des fortes tensions géopolitiques et de l’appétit des pays émergents pour les produits énergétiques.
Une déception annoncée…
Dans ces conditions, plusieurs engagements contenus dans le projet de budget 2012 ne pourront sans doute pas être tenus, en tête desquels se trouve l’effort d’investissement public. A ce sujet, il convient de remarquer que l’impact attendu des dépenses d’infrastructures sur la croissance économique est resté modeste jusqu’à présent, notamment en raison de la faible productivité des investissements réalisés (zones industrielles sous-utilisées ou détournées de leur objectif productif, qualité institutionnelle, faiblesse du capital humain…).
L’effort en faveur des départements sociaux, tout en étant louable, ne suffira pas pour répondre aux fortes attentes enclenchées par le Mouvement du 20 février. Les créations d’emplois publics vont certes augmenter —26 204 postes budgétaires prévus en 2012 contre 17 800 entre 2008 et 2011—, mais elles sont constituées pour près de 40% de remplacements des départs à la retraite. Le lancinant problème de la Caisse de compensation n’est nullement abordé, le ciblage tant attendu des couches appauvries risquant d’être un flop du fait, entre autres, de la corruption sévissant dans l’administration, alors que l’application de la véracité des prix ne fera qu’éroder davantage le pouvoir d’achat des couches moyennes prolétarisées et d’attiser encore davantage les tensions sociales.
En fait, la prise en charge de la question sociale par la Loi de Finances 2012 souffre de deux limites au moins. Premièrement, la structure des recettes fiscales reste dominée par les impôts indirects (TVA en tête), dont le caractère régressif en matière de répartition des revenus est avéré, alors que l’impôt sur le revenu est constitué en grande partie des contributions des salariés. Deuxièmement, le budget continue de faire la part belle à différents groupes d’intérêt —grands agriculteurs, promoteurs immobiliers, investisseurs étrangers…— qui profitent de niches fiscales, dont le montant total s’élève à 32 milliards de dirhams. Une fois de plus, rien n’est prévu pour raboter les niches improductives ou à l’utilité sociale limitée.
Limiter les dégâts
Somme toute, il s’avère que la version 2012 du budget de l’Etat ne fera que gérer la crise, cherchant à limiter les dégâts dans l’attente de meilleurs jours. Or, rien ne garantit que le cycle de sécheresse qu’on avait connu dans les années 1980 ne se reproduira pas à l’avenir, alors que la crise de la zone euro est là pour durer.
Seul un changement de modèle de développement en faveur de la réhabilitation des marchés internes et régionaux (Maghreb, Moyen-Orient et Afrique subsaharienne) et de la satisfaction des besoins fondamentaux de la population —à travers notamment la promotion de l’industrialisation et de la sécurité alimentaire— poserait les bases d’un budget au service de la croissance et de la justice sociale. Encore faut-il que la question du partage des richesses soit en tête des priorités des responsables. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui…
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