L’espoir tunisien

Par Karim Boukhari

Le peuple marocain n’est pas prêt ? Oui, nous dira-t-on, parce la majorité est “immature, corrompue, peu alphabétisée, fanatisée”. 

A partir de ce week-end, nos cœurs battront pour la Tunisie, qui connaît les premières élections libres de son histoire. Si la logique des sondages est respectée, les islamistes d’Ennahda gagneront ces élections et nous serons obligés de choisir entre le rêve et la peur qui nous habitent depuis le déclenchement du Printemps arabe.
Tout est parti de Tunis et tout doit repasser par Tunis. Notre sort est en partie entre les mains des Tunisiens. S’ils votent islamistes, je ne vois pas comment les Egyptiens et les Libyens en feraient autrement. Et je ne vois pas, non plus, comment les Marocains, dans quelques semaines, n’en feraient pas autant. A Tunis, c’est un peu toute la rue arabe qui s’apprête à voter. Et c’est là que cette année 2011 de toutes les révolutions prendra son premier grand tournant.
A Rabat, je crois que les nombreux faucons du régime ont déjà répété le discours qu’ils vont nous servir : “Vous voulez la révolution ? La liberté ? La démocratie ? Voilà ce que ça donne : les islamistes !”. Ce discours repose sur la théorie que le peuple n’est pas prêt et que l’islam politique est la négation de la démocratie. Le peuple n’est pas prêt ? Oui, nous dira-t-on, parce la majorité est “immature, corrompue, peu alphabétisée, fanatisée”. Un peuple, donc, qui ne mérite pas qu’on lui fasse confiance pour choisir ses élus. Il n’est pas mûr pour la démocratie et il ne mérite pas la liberté. Un peuple, au final, bon à être dominé et contrôlé. C’est le syndrome “Awbach” (que l’on peut traduire par “apaches, sauvages”), comme Hassan II avait désigné, en 1984, les étudiants révoltés de Nador. “Ils” sont nuls, alors on les traitera comme des nuls. C’est ce discours, à la fois conservateur et rétrograde, qui règne en maître sur la mentalité de nos dirigeants. Ils s’en servent comme alibi pour maintenir un régime autoritaire dans lequel tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du Roi – Dieu. “Le despotisme ? C’est le prix à payer pour garantir la stabilité. Et la liberté, et l’égalité, et la démocratie ? C’est la porte ouverte à l’anarchie”.
Dans ces conditions, toujours selon les faucons du régime, il serait absurde et dangereux de revendiquer une monarchie parlementaire dans laquelle le roi règne mais ne gouverne pas, en somme une monarchie où le roi n’est pas Dieu. “Vous voulez que le roi cède ses prérogatives ? Mais à qui : à des partis nuls, à un parlement nul, à des hommes nuls ?”. Voilà ce qu’on nous dit. Et on va nous citer, pour appuyer ce discours moyenâgeux, le tout récent exemple de ce parlementaire (lire p. 8) qui n’a pas hésité à… lancer une lettre aux pieds de Mohammed VI, le même genre de lettres qui “pleuvent” sur le monarque à chacune de ses sorties en public et dont le contenu est invariablement le même : “Sidna, au secours !”. Nos contradicteurs nous diront : “C’est à des élus comme celui-là que vous voulez confier les rênes du pouvoir ? Vous êtes fous ?”.
Alors, si j’ai bien compris, on n’a que ce qu’on mérite, c’est-à-dire pas grand-chose. Nous sommes si nuls. Notre peuple est nul, nos élus sont nuls et même nos journaux sont nuls puisque le chef de l’Etat, ce qui est assez unique au monde, refuse de recevoir la presse de son pays. On fait quoi, alors ? Eh bien rien, on se tait, on dit amen à tout et on exécute ce qu’on nous demande. Nous ne sommes bons qu’à “ça”.
Si la Tunisie nous intéresse tant, c’est qu’elle a pu briser tout ce mur des lamentations et effacer toutes ces injustices et frustrations cumulées. Elle a restauré la dignité de l’homme de la rue et on attend d’elle, aujourd’hui, une confirmation. Amis tunisiens, montrez-nous, montrez-leur, qu’il est possible de tenir des élections libres sans risquer la guerre civile de ce côté-ci de la Méditerranée. Et si la victoire revient aux islamistes, n’oubliez pas de nous démontrer que l’islam politique n’est pas forcément, comme on nous dit, “la négation de la démocratie, la fermeture des espaces de liberté, le retour à la Charia et à l’âge de pierre”. Vous avez initié le Printemps arabe, vous pouvez encore nous faire rêver.