Voter islamiste ? Plutôt rester chez moi à relire Marx ou à caresser mon chat.
Je suis un homme de gauche qui ne vote pas parce qu’il risque de voter islamiste. C’est un problème et j’ai beau le retourner de toutes les manières possibles : je ne vois aucune issue. J’ai grandi avec l’idée fixe que le communisme était “la solution”, que Dieu était un concept et que Marx, dans tous les cas, était son prophète oublié. J’ai par la suite mis de l’eau dans mon vin, et j’ai appris à diluer mes convictions sans les renier. A gauche je suis et je resterai. Parce que Marx, dont je retiens plus l’analyse que les recommandations, a à peu près tout dit avec sa lecture du capitalisme, de la société de consommation et des rapports maîtres-esclaves, dominants-dominés. De tout cela j’ai chassé les dogmes et il ne me reste plus que l’esprit. Et cet esprit est à gauche, définitivement.
Ai-je besoin de rappeler que la gauche, dans le sens élémentaire du terme, c’est d’abord la république et le socialisme ? Ou alors, à défaut, une monarchie républicaine (ou parlementaire) et un libéralisme à visage humain. Comme nous en sommes loin…
J’ai voté une ou deux fois, et cela a été si peu conséquent que je ne me souviens plus quand, ni exactement pour qui. Je me suis juste demandé : “Voyons, puisque je ne peux voter qu’à gauche, je choisis qui ?”. Et j’ai glissé mon enveloppe dans l’urne en bois et je suis ressorti comme un chien abattu. Mon candidat, mon parti et mes idées ne pouvaient pas gagner. Et puis, même s’ils gagnaient, ils devaient mettre de côté leur programme et exécuter celui du roi. C’était peine perdue. Pourquoi ai-je alors voté ? Pour apporter une petite voix à ma “famille” et sans doute pour me sentir moins seul en ces temps où la pseudo-démocratie hassanienne décrétait des taux de participation pas loin des 100 %.
Cette histoire triste à mourir contraste avec le vent de fraîcheur qui souffle sur le monde arabe et dont j’ai eu un aperçu en accompagnant les élections tunisiennes. Dans le pays de Bourguiba, j’ai vu les gens quitter les isoloirs en souriant, parfois en pleurant. De joie. Ils y croyaient et ils avaient de solides raisons d’y croire. C’est leur choix, leur candidat, leur parti, leur idéologie qui triomphent et qui arrivent à l’étage supérieur, le tout dernier, là-haut au sommet : l’exercice plein et entier du pouvoir conformément à la volonté exprimée librement par la majorité. Je n’ai aucun problème à le dire : en observant les Tunisiens, j’avais presque honte de moi et des misères de mon pays, toujours prisonnier d’un système d’assistanat, comme si nous avions signé une procuration à vie pour que d’autres nous gouvernent et décident à notre place. Ce beau pays qui est le mien a été incapable, en un demi-siècle et des poussières, de faire confiance à la volonté populaire : qui la connaît, d’ailleurs, cette volonté populaire, du moment qu’une partie des Marocains ne vote pas et que l’autre partie fait exactement ce qu’on lui demande de faire ?
Je suis comme certains parmi vous à me demander : mais elle est où ma famille, aujourd’hui ? Je ne sais pas. A gauche, Annahj Addimocrati et surtout le PSU boycottent les élections et je comprends très bien leur position. Il reste l’USFP et le PPS. Les héritiers de Bouabid, autrefois porte-étendards de la jeunesse de ce pays, ont à leur tête un monsieur de 76 ans. : comment peuvent-ils encore nous faire croire qu’ils incarnent une alternative crédible ? Et les enfants du communisme, trop occupés à grandir à tout prix, ont tellement “avalé” de couleuvres et de nouveaux-venus que j’en suis venu à me demander : mais où se situent-ils, au fond ?
A force de renoncements, de concessions, voire de compromissions et de dévoiements, la famille de gauche a effacé ses repères. Elle est rentrée dans les rangs. Que me reste-t-il pour porter cet esprit de gauche et pour rêver à un Maroc meilleur ?
En ces temps de Printemps arabe, il est terrible de voir que je vis, moi, en automne. Je suis certain que beaucoup parmi vous aussi. La famille de gauche est débordée par une cohorte de partis libéraux ou conservateurs, dont beaucoup doivent leur existence, voire leur puissance, au dopage électoral. A l’exception notoire de l’Istiqlal, ce sont pour la plupart des partis bidons créés pour faire le (sur)nombre et brouiller les pistes, toujours à l’avantage du système.
Ma famille est à gauche et je ne veux pas d’une famille d’adoption ou de substitution. Je sais que les islamistes représentent une alternative. Voter PJD ? Plutôt rester chez moi à relire Marx ou à caresser mon chat.