Le dernier Conseil des ministres a accouché d’un projet de loi extrêmement important puisqu’il définit clairement qui, du roi ou du Chef de gouvernement, nommera les patrons des principaux offices qui dirigent le pays. Le texte, qui franchira sous peu l’étape du parlement, renseigne sur la répartition très inégale des pouvoirs et l’état de non–démocratie où l’on vit. Il reproduit l’esprit de la nouvelle Constitution, titubant entre l’image d’une avancée démocratique et la réalité d’un maquillage démocratique. En gros, le roi garde la main, via le Conseil des ministres qu’il préside, sur la majorité des enseignes publiques. Cela va du ciel (RAM, ONDA) à la mer (Marsa Maroc, Tanger Med), en passant par la banque (CIH, Crédit agricole, Banque populaire, sans parler de la CDG, “banque” indispensable à toute politique de développement au Maroc), les phosphates (OCP), les médias (SNRT, MAP), etc. Les patrons de 39 établissements dits stratégiques (et ils le sont) continueront d’être nommés par dahir et d’appliquer, de facto, la politique royale puisque c’est au roi qu’il devront rendre des comptes. En ajoutant l’armée, la police, les services de sécurité, la diplomatie de terrain (ambassadeurs), la haute magistrature, la politique monétaire du pays (Bank Al-Maghrib), la régulation des télécoms (ANRT), le contrôle de l’interrelation finances publiques-recours judiciaire (Cour des comptes), etc., le diagnostic est on ne peut plus clair : le roi garde la mainmise sur l’essentiel des centres de décision. Le pouvoir, c’est lui, complètement lui, et c’est plus vrai que jamais.
Le plus intéressant, finalement, est d’examiner les enseignes sur lesquelles le roi donne l’impression d’avoir lâché du lest puisque leurs patrons pourront être nommés par le Chef de gouvernement. Les compartiments auxquels les islamistes seront plus ou moins associés sont essentiellement de nature financière (Office des changes, CDVM), sociale (Centres hospitaliers, CMR, Entraide nationale), commerciale (Maroc Export, CRI), éducationnelle (Académies régionales), ou culturelle (CCM). La maigre parcelle de pouvoir cédée ou, plus exactement, partagée avec le gouvernement a été savamment dosée par le cabinet royal. Elle est calculée de manière à mettre les islamistes à l’épreuve : la plupart des enseignes “partagées” sont des chantiers où beaucoup reste à faire. À leur damer le pion et noyer leur pouvoir d’action : “il” garde la télévision et les médias publics, “ils” récupèrent en contrepartie le cinéma, “il” cède la CMR mais garde la CNSS, “il” lâche le monde agricole en gardant la mainmise sur le Crédit agricole. À leur offrir au passage un minimum de visibilité : “ils” prennent le cinéma, donc, mais aussi l’éducation et la santé, autant de secteurs surexposés et à fort potentiel populaire. Voire à tirer profit de leur fraîcheur, de leur image encore immaculée et de leur capacité de travail : Centres d’investissement, tourisme, finance.
La philosophie de ce projet de loi est simple et glaçante à la fois. Elle peut être résumée comme suit : le roi garde le double des clés dans sa poche et associe le gouvernement islamiste là où il a décidé de le faire, c’est-à-dire dans des secteurs jugés moins stratégiques que d’autres. Il ne fait aucun doute que ce schéma-là n’a pas été imaginé par les conseillers de Abdelilah Benkirane mais par les architectes du cabinet royal. Ils ont mené la danse et taillé le costume qu’ils ont choisi pour le gouvernement islamiste. Leur idée principale, via cette redistribution des tâches, est d’offrir au monde extérieur l’image d’une avancée démocratique. Mais la réalité correspond davantage à un maquillage démocratique. Et, comme pour tout maquillage, l’esprit chagrin pourra toujours dire que la mariée a au moins quelque chose sur les lèvres.