Par le plus grand des hasards, Zakaria Boualem est tombé cette semaine sur un document d’une valeur inestimable : le rapport de la FIFA concernant notre candidature à l’organisation de la Coupe du Monde 2010. Rappelons à nos plus jeunes lecteurs qu’entre 1986 et 2006, le Maroc s’est proposé à l’organisation de la Coupe du Monde trois fois, et qu’il a obtenu comme réponse toute les versions possibles du non. Dans ce document, donc, une question simple : “Le pays visité dispose-t-il de véhicules à traction animale en ville” ? Voilà. Il ne s’agit pas ici des calèches pour touristes, bien sûr. On nous demande si, au vingt-et-unième siècle, des gens montent sur des animaux pour se déplacer en ville. La réponse est oui, bien sûr. On appelle ça des carrossa, sans doute une dégradation ironique du carosse de Blanche-Neige. Dans un premier temps, le Guercifi s’est insurgé contre cette nouvelle manifestation de la mauvaise foi légendaire de la
FIFA, que Dieu prélève en elle la justice. Ensuite, il s’est souvenu de ce cours de physique où un valeureux professeur lui a expliqué la notion de facteur limitant. Imaginez un baril à l’ancienne, composé de planches placées verticalement. Le niveau du liquide contenu sera celui de la planche la plus courte. C’est elle qui est le facteur limitant, elle détermine la vraie capacité du baril. Oublions la FIFA, que Dieu la précipite dans les ténèbres du ridicule avec ses magouilles. Le développement du Maroc est-il celui induit par ses réalisations les plus spectaculaires ou plutôt celui du niveau de vie réel de la masse de ses habitants les moins fortunés ? Tu peux construire des TGV, organiser des festivals et faire cuire des omelettes géantes, à la fin on va te demander s’il y a des gens qui s’entassent sur des diligences et tu vas répondre oui comme l’âne qui la tire généralement. Tu peux battre l’Algérie quatre à zéro de temps en temps si ça te chante, ça ne voudra pas dire que tu as une grande équipe. Il faudrait pour cela battre régulièrement l’Ouganda ou la Centrafrique, ce qui n’a pas été fait. Tu peux même gagner une Coupe d’Afrique si tu y arrives, le niveau du sport marocain est aussi déterminé par le nombre de jeunes qui ont accès à un terrain, le nombre de licenciés, la qualité de l’organisation des championnats de divisions inférieures…Tu peux organiser les festivals les plus flamboyants du monde, on va te demander combien il y a de salles de concerts dans le pays, combien de conservatoires, combien de musiciens qui vivent de leur art… Si on décroche un Prix Nobel demain matin, on va te demander combien de jeunes défavorisés ont terminé dignement leurs études et ont pointé sur le marché du travail en maîtrisant au moins une langue cohérente. Et là, tu vas bien être obligé de répondre que c’est pas brillant. Il y a même des chances que tu constates que c’est de moins en moins brillant. Zakaria Boualem en est convaincu, les Marocains les moins fortunés sont coincés à vie dans les ténèbres de notre société impitoyable. Certains ne seront pas d’accord avec ce constat, mais il est secondaire, parce qu’il y a pire qu’une société où les miséreux sont délaissés : une société où les miséreux sont convaincus d’être délaissés. Et là, ils seront moins nombreux à contester ce point… Si le grand projet collectif national d’une bonne partie de la population est de mettre les voiles, ce n’est pas parce que la vie sera forcément meilleure ailleurs mais parce qu’ils sont convaincus qu’il existe, ailleurs, une solution absente chez nous. L’espoir, donc. Même chose pour la corruption. L’important n’est pas qu’elle soit généralisée ou pas, mais que tout le monde pense qu’elle le soit. Voilà. C’est terrible, bien entendu, et ce n’est pas de la faute de Zakaria Boualem. Salut, et merci.