Édito - Un rapport esseulé et beaucoup de regrets

Par Aicha Akalay

Il y a dans le Maroc d’aujourd’hui une nostalgie Abdelaziz Meziane Belfkih. Le roi n’aurait plus autour de lui des conseillers de cette trempe-là, entend-on régulièrement. Il faut se méfier des souvenirs enjolivés, et des hagiographies à la gloire des hauts commis de l’État, surtout quand ils ne sont plus là. Quelques voix reprochent cependant à Meziane Belfkih d’avoir contribué au sacre des technocrates et d’avoir coiffé l’administration de hauts cadres diplômés de Ponts et Chaussées, son école de formation. Un prisme de lecture forcément réducteur, vivement récusé par ceux qui ont connu Si Meziane, et surtout un procès qui n’a aujourd’hui plus aucun intérêt. Ce qui subsiste en revanche, c’est un esprit et un message. “Si Meziane était convaincu des vertus de la démocratie. Pas seulement parce que c’est ce qu’il fallait faire sous l’égide de la monarchie, mais parce qu’elle a des résultats positifs sur le développement”, nous confiait l’un de ses proches. Cette conviction saute aux yeux à la lecture d’un chapitre essentiel (le 6) du rapport du cinquantenaire que le conseiller royal a coordonné. La primauté du droit, la clarification de la règle du jeu politique ou encore la mise à niveau des institutions sont des préalables nécessaires à la prospérité économique pour Si Meziane et les auteurs de ce travail colossal (lire notre dossier page 30). Il y a notamment ce très beau passage sur les citoyens : “S’ils ont des devoirs, ils ont aussi des droits, dont celui de réclamer et de recevoir des comptes de la part des détenteurs de mandats publics”. Élémentaire ailleurs, mais ô combien nécessaire à rappeler chez nous, surtout aujourd’hui.

S’il est vrai que cette conception de l’État — qui élargit le champ des possibles pour les Marocains afin qu’ils expriment leur liberté et leurs capacités, tout en les responsabilisant — n’est plus distillée par les proches du Palais, son absence n’explique pas à elle seule le vide laissé par Meziane Belfkih. Au-delà des qualités de rigueur et d’abnégation, qui doivent encore exister autour de Mohammed VI, la force de Si Meziane est très justement résumée par la directrice de l’Instance nationale d’évaluation auprès du Conseil supérieur de l’Éducation, Rahma Bourqia. Pendant l’élaboration du rapport du cinquantenaire, elle se disait : “C’est bien d’avoir des hommes (ou femmes) d’État comme lui, capables de faire le lien, et d’être ‘des passeurs’ bienveillants entre la société, l’opinion publique et le premier cercle du pouvoir.” Cette ouverture et cette capacité d’écoute faisaient que tous ceux qu’il sollicitait se sentaient mis à contribution et pas juste pour faire de la figuration ou servir de caution morale. “Il m’a fait comprendre qu’être commis de l’État c’était prendre en compte les paramètres, la complexité pour essayer de faire avancer au maximum les lignes du possible”, se réjouit l’un de ses collaborateurs. Mais cet héritage n’inspire plus le Maroc de 2017. La citadelle autour du Palais s’est refermée. Les partis politiques se sont arcboutés, certains sont même condamnés. Pourtant, les grandes lignes d’un Maroc possible sont là. 4500 pages pour construire un avenir meilleur pour les Marocains. Mais où est passé la volonté ?