Édito - Le look c'est l'homme

Par Aicha Akalay

Est-ce bien sérieux de disserter sur le look du roi ? La réponse évidente est non. Après tout, les goûts vestimentaires du souverain n’ont aucun impact sur la vie des Marocains.

Cela relèverait de sa vie privée — une notion inconnue pour un souverain chérifien —, comme le soulignait une source proche du monarque en janvier dernier sur le360.ma, un site bien informé quand il s’agit du roi. Seulement voilà, les clichés de Mohammed VI, surtout quand il est vêtu de manière originale, sont plus largement repris et commentés par les médias et les réseaux sociaux, que la plupart de ses activités officielles. L’intérêt pour ses jellabas pop et flashy ou ses vestes en wax l’emporte largement sur l’inauguration d’un centre socio-éducatif au fin fond du Maroc inutile. On peut dénoncer jusqu’à plus soif la vacuité des médias et du peuple d’Internet, mais ce serait passer à côté d’un vrai phénomène. Le roi “sapeur” ne laisse pas indifférent. Il y a bien sûr ceux qui ne trouvent pas ça correct pour l’image d’un roi. Le souverain ne serait pas assez sobre, trop fantaisiste, parfois kitsch. Mais cette police du bon goût ne nous intéresse finalement pas. Elle trouverait sûrement beaucoup à redire sur l’accoutrement de notre rédaction, et d’une bonne partie de nos dirigeants. Ce sont les mêmes que nous entendons pester contre les costumes mal taillés du Chef du gouvernement. Les autres, majoritaires à en croire les réactions sur les réseaux sociaux, des jeunes surtout, exultent à chaque cliché. Mohammed VI est bien dans ses baskets colorés, il ose, il assume et il plaît.

Il serait naïf de croire que ces photos du “roi cool” fuitent sur Internet au hasard des rencontres du souverain, lors de ses déplacements privés. La communication du roi à l’adresse des millennials, c’est surtout celle-là. Elle construit une image d’Épinal, celle d’un roi populaire, c’est-à-dire proche des gens, accessible et simple. Ses spin-doctors l’ont sans doute compris, la communication est aussi affaire de relation. Et la relation d’un roi qui s’exprime peu aurait pu être compliquée avec ses “sujets”. Or, Mohammed VI n’a pas de mal à la tisser.

Mais ce serait sous-estimer le roi que de penser que cette stratégie lui est dictée. Elle est déclinée par d’autres, mais d’abord pensée et validée par lui. Car proche de lui. “Par nature, il se moque bien des conventions de la bourgeoisie marocaine. Il est naturel et décontracté, il n’a rien à prouver”, nous confiait un proche du Palais. Dans un cadre plus privé, loin des réseaux sociaux, et des selfies à profusion, Mohammed VI avait organisé pour l’anniversaire de son épouse une halqa, comme à Jamaâ El Fna, au cœur du palais royal. “Le roi était amusé par les réactions étonnées de certains. Ils s’attendaient peut-être à plus de faste et moins de culture populaire”, rapporte l’un des convives, qui insiste : “Le roi est un homme simple et accessible”. Ça tombe bien, c’est ce que le peuple bleu — de Facebook — retient de ces clichés.

En 17 ans, tout aura été dit sur le style M6. Du look à la façon de gouverner. Peu ont insisté sur sa très forte personnalité. On le dit émotif et sensible. Ce qui, dans les bons jours, renforcerait une intuition et un flair admirables. “Il ne faut pas se méprendre, tous les grands projets du Maroc sous son ère, c’est lui qui les a pensés. Tanger Med par exemple, c’est sa réussite. Il a eu du flair pour le choix du site”, témoigne l’un de ses anciens ministres. Dans les mauvais jours, sa gestion émotionnelle donne des colères redoutables. “Dans ces cas-là, son courroux est plus dur que celui de son père”, raconte encore un autre proche du sérail. La synthèse et la complexité des défauts et qualités de M6 donnent un monarque avec un charisme certain, qui dégage une bonhomie et parfois une fragilité touchantes. Un roi qui gouverne par la colère, parfois avec excès, mais qui se laisse approcher, et se laisse même critiquer.