Benkirane est-il en train de séculariser son discours ?

Le leader du PJD a affirmé que le comportement d’un musulman est plus important que la manière avec laquelle il pratique ses rites religieux. 

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Abdelilah Benkirane © Yassine Toumi/TELQUEL

Abdelilah Benkirane serait-il en train de séculariser son discours ? Lors d’une intervention devant les élus de son parti à l’occasion du conseil régional Rabat-Salé-Kénitra du PJD, le leader du parti de la lampe a affirmé que l’apparence des musulmans ainsi que la manière avec laquelle ils effectuent leurs rites religieux sont moins importants que leur comportement avec leur entourage.

Pour le zaïm du parti de la lampe, la raison de la « victoire de l’islam » réside dans sa capacité à se « propager et résister durant quatorze siècles » qui est due au « bon comportement avec les individus, qu’ils soient forts, faibles, vieux, jeunes, juifs ou chrétiens ». Un comportement qui a permis, selon le secrétaire général du PJD,  de relayer le « modèle suprême du prophète ».

Une déclaration inhabituelle venant d’un leader islamiste, mais préfigure-t-elle pour autant un changement de stratégie d’un parti qui a tout construit autour du référentiel religieux ? Se dirigerait-on vers une sécularisation du parti de la lampe ? Les leaders du PJD n’ont de cesse de mettre en avant la différence entre le travail de prédication du MUR [Mouvement unicité et réforme, bras idéologique du PJD] et celui, politique, du PJD. Cela dans le discours, car dans la pratique, le référentiel religieux est régulièrement mis en avant, y compris par Benkirane lui-même. En pleine précampagne électoral, le chef de file du PJD avait ainsi fait référence à l’idéologue religieux Ibn Taymia, suscitant l’ire des progressistes. En parallèle, il avait appelé, à l’approche des élections, à un front commun contre le fameux « Tahakkoum », invitant des personnalités de gauche à se présenter au scrutin sous la bannière du parti!

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La Commanderie des croyants comme référence religieuse

Pour l’intellectuel Mohamed Tozy, le PJD s’est éloigné, depuis son arrivée au pouvoir, du discours religieux. A ce titre, la déclaration d’Abdelilah Benkrane est, selon lui, « naturelle ».  Le chercheur estime, pour sa part,  qu’il faut se demander si la formation à la lampe « a changé de discours sur la liberté de conscience ».

Mais pour Mohamed Darif, spécialiste des mouvements islamistes et membre fondateur du parti des néo-démocrates, la nouvelle sortie de Benkirane ne dénote d’aucun « changement majeur » puisque les islamistes et la communauté musulmane « ont toujours accordé de l’importance au comportement de l’individu ». Pour le chercheur, cette importance accordée au comportement de l’individu a été intégrée au dogme du parti de la lampe puisque le programme politique du PJD « est régi par une logique laïcisante que partagent les autres partis ».

Driss El Ganbouri, également chercheur spécialisé dans les mouvements islamistes, abonde dans le même sens: « Ce n’est pas nouveau. Depuis 2011 au moins, Benkirane pratique une politique séculière ». Selon lui, Benkirane exprime un point de vue politique plus qu’autre chose en affirmant que le PJD « est un parti civil et qu’il ne s’exprime pas dans le champ religieux. D’ailleurs, il n’a pas d’impact sur cette question  puisque la gestion du champ religieux est une prérogative exclusive du commandeur des croyants, et Benkirane l’a dit à plusieurs reprises ».

Discours politique et recrutement

Le fait d’accepter « les élections, les institutions » et de travailler « dans le cadre d’un État jacobin qui est un produit français » illustrent d’ores et déjà la « laïcisation » en marche du parti de la lampe, avance Mohamed Darif. Toutefois, pour le chercheur, le PJD n’a pas l’apanage de l’utilisation de l’islam dans le champ politique. La différence entre le PJD et une formation dont le référentiel affiché n’est pas religieux réside, d’après lui, simplement dans le degré d’instrumentalisation de la religion dans le discours politique. Il en veut pour preuve les sorties de Hamid Chabat et d’Ilyass Elomari. « Il suffit de voir la récente sortie de Hamid Chabat, dans laquelle il affirme avoir combattu aux côtés du PJD car ils partagent tous les deux un référentiel islamique. Elomari avait, pour sa part, qualifié sa lutte contre le PJD de croisade ayant pour but de protéger les musulmans » affirme le spécialiste des mouvances islamistesD’après Darif,  Le PJD puise essentiellement dans le discours religieux dans le domaine du recrutement et de la mobilisation : « Dans ces domaines, ils n’utilisent que le religion, et le MUR fait très bien ce travail avec les associations de quartiers et les actions de charité qu’ils mènent. »

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