Zakaria Boualem vous parle de son cousin

Par Réda Allali

Zakaria Boualem voudrait vous parler cette semaine de son cousin. Un jeune homme d’une trentaine d’années, particulièrement vif d’esprit, dont les parents avaient décidé, pour une raison connue d’eux seuls, de le prénommer Boualem. Conséquence logique de ce choix étrange, il traînait un patronyme complet de Boualem Boualem, une bizarrerie qui lui a valu un nombre important de désagréments au cours de sa jeune existence, mais ce n’est pas notre sujet aujourd’hui. Dès son plus jeune âge, le Boualem en question s’était pris de passion pour les grands prix de moto et vouait un culte fervent à Valentino Rossi. Il suivait les courses, même celles qui se disputaient en Asie au petit matin, il était capable de réciter les temps de passage et les noms des mécaniciens du pilote italien. Une obsession saugrenue, au moment où ses amis se passionnaient surtout pour des projets d’immigration ou la chasse à la nubile. Boualem, lui, ne vibrait que pour Valentino Rossi et ses exploits. Son sens de la trajectoire, son goût de la bagarre, son panache et son courage, ses casques flamboyants, ses changements d’écurie et ses duels avec Lorenzo… il en avait tiré une conclusion irréfutable : Valentino Rossi était un génie.

Il était impossible d’atteindre un tel niveau d’excellence en ne comptant que sur le travail, il fallait un don, un cadeau du Très Haut, un capital de départ. Il s’était aussitôt demandé s’il était doué, lui aussi. Quelques tentatives au guidon d’une improbable Peugeot 103 SP trafiquée s’étaient soldées par autant de passages au commissariat de Guercif, et on lui avait retiré sa bécane sans autre forme de procès. Alors qu’il poursuivait ses études et entrait sans grande conviction dans la vie active, il n’avait pu s’empêcher de continuer à se poser la question : était-il un génie potentiel de la moto de vitesse ? Hélas, l’absence totale de circuits et le peu de popularité de cette discipline avaient condamné cette question à demeurer sans réponse, sa carrière d’appenti motard avait tourné court. Aujourd’hui, Boualem Boualem travaille dans un call center, où il gravit mollement les échelons d’une carrière dont l’emmerdement est la plus remarquable caractéristique. Il avait ainsi eu le temps de développer un concept, qu’il avait appelé le syndrome Valentino Rossi. Chaque humain arrive sur terre avec un don pour quelque chose, et c’est à lui de le découvrir. S’il passe à côté de ce trésor, sa vie ne sera qu’une longue succession de mornes journées. Malheureusement, le gamin qui grandit à Guercif aura devant lui un espace des possibles plus limité que son homologue suédois par exemple.

Le gamin suédois pourra, au cours de sa jeunesse, tester les sports d’équipe, les sports individuels, le théâtre et le piano. Il pourra passer à côté de son don, mais il aura toujours bien plus de chance de le découvrir que son homologue guercifi, condamné au hockey sur h’jar, seule discipline sportive encouragée ici, malheureusement non homologuée olympique. Il est aussi possible que ces deux gamins ne disposent d’aucune espèce de don, mais ce Boualem avait écarté cette possibilité dans sa théorie, sans doute par optimisme. Il regardait autour de lui et voyait dans chaque individu un destin contrarié. Ce boucher pour routiers était peut-être un concepteur de jeux vidéo brillant, ce moqaddem un champion potentiel de saut à ski. Peut-être que ce policier à moustache, s’il avait essayé le saxophone avant que sa fibre artistique ne se trouve démolie par son abominable quotidien, aurait pu exploser tel un nouveau Charlie Parker. Et surtout, peut-être que lui, Boualem Boualem, aurait pu devenir un Valentino Rossi, ou se révéler brillant dans une tâche relevant du monde de la moto.

Voilà, Zakaria Boualem ne sait pas que penser de la théorie de son cousin, mais il lui a semblé important de vous la rapporter. C’est fait, et merci.