On savait que la diplomatie marocaine était tout entière tournée vers la résolution du conflit du Sahara. Grâce aux documents confidentiels publiés par « Chris Coleman » (et dont l’authenticité n’a jamais été démentie par le gouvernement), on découvre les coulisses des tractations menées autour du mandat de la Minurso. Telquel.ma a épluché ces documents et révèle la teneur de ces marchandages diplomatiques. Première série de révélations avec les relations maroco-américaines depuis deux ans.
Du côté américain, les injonctions au respect des droits de l’Homme, notamment au Sahara (mais pas seulement) sont systématiques. Depuis le démantèlement musclé du camp de protestation de Gdeim Izik, le 8 novembre 2010, aux abords de Laâyoune, et les poursuites judiciaires de civils ayant suivi devant des tribunaux militaires, les Américains mentionnent régulièrement l’abandon de la justice militaire pour juger les civils comme progrès attendu de la part du Maroc.
Le tournant d’avril 2013
C’est dire si Gdeim Izik a été un tournant pour la diplomatie américaine qui, régulièrement, presse les Marocains d’afficher des progrès en matière de droits de l’Homme. En avril 2013, quelques mois après le début des procès au tribunal militaire de Rabat, l’ambassadrice américaine aux Nations unies avait proposé l’extension du mandat de la Minurso au monitoring des droits humains. Un choc absolu pour la diplomatie marocaine, qui, après cette date, dans ses documents internes comme dans ceux adressés aux Américains, parle à plusieurs reprises du « tournant d’avril ».
Et le chantage est parfois explicite. Comme en juin 2013, lorsque Mme Wendy Sherman, Sous-secrétaire d’Etat américaine aux Affaires Politiques, reçue à Rabat, adressait cet avertissement à peine déguisé aux représentants du Maroc (emmenés par Youssef Amrani et Mohamed Salah Tamek) :
Concernant la question des droits de l’Homme, la Sous-secrétaire d’État américaine a précisé l’importance de réaliser de véritables avancées dans le domaine du respect des droits humains en vue d’éviter de se retrouver dans une situation difficile l’année prochaine à l’occasion de l’exercice habituel au Conseil de Sécurité sur le renouvèlement du mandat de la Minurso.
Pour rassurer l’Oncle Sam, Rabat montre patte blanche sur la question des droits de l’Homme. Quitte à être sur la défensive, sur des cas polémiques très précis soulevés par les Américains [lire ci à droite un extrait du Compte-rendu de la 8e session du dialogue informel des autorités marocaines avec l’ambassade des États-Unis à Rabat sur les questions des droits de l’Homme (Rabat, 17 janvier 2013) ci à droite]. On découvre ainsi que le ministère des Affaires étrangères a dû s’expliquer sur le retrait de l’accréditation du correspondant de l’AFP Omar Brouksy (l’intéressé s’étant rendu coupable, explique le document, d’avoir « publié une dépêche qui implique l’institution monarchique dans des élections partielles à Tanger »), sur la censure du chanteur L7a9d, Mouad Belghouat de son vrai nom (« Le procès a été équitable et conforme aux normes internationales », plaide le document auprès des Américains), ou encore sur la surpopulation carcérale, le recours à la détention provisoire et l’usage de la torture.
La loi sur les tribunaux militaires est très largement présente dans la correspondance diplomatique marocaine relative aux relations avec les Etats-Unis. Le 13 décembre 2013, dans une note non signée à l’attention du ministre des Affaires étrangères, un diplomate ayant reçu notamment « Gail Horak, conseiller politique, en charge du dossier du Sahara à la mission permanente des USA auprès des Nations unies à New York et Beth Smith, chargée des Organisations internationales au Département d’État » ne manque pas de rappeler qu’il a exposé avec de nombreux détails l’état d’avancement de la loi de réforme du tribunal militaire (finalement adoptée en juillet) et d’autres projets de réforme.
Le Sahara, territoire ouvert mais pas trop
Mais reste que les autorités marocaines sont paniquées à l’idée que la mission de la Minurso soit étendue au contrôle des droits de l’Homme. Cette question domine l’ensemble des échanges.
Premier exemple : dans une note confidentielle envoyée par fax au ministre des Affaires étrangères le 26 mars 2014, Mohamed Loulichki, alors ambassadeur et représentant permanent du Maroc auprès de l’Organisation des nations unies (ONU), évoquant de récentes déclarations de Christopher Ross, mentionne les procédures spéciales [du Conseil des droits de l’Homme, consistant en des visites d’observateurs onusiens] comme d’une menace − gérable : « Il y en a beaucoup qui vont visiter, mais elle ne vont pas toutes au Sahara ; on n’est intéressés que par celles qui vont au Sahara et elles ne restent pas longtemps. »)
Plus parlant encore, dans la même note du 13 décembre 2013 citée plus haut, le diplomate qui vient de recevoir la délégation américaine dans le cadre de la préparation de la visite de Navi Pillay, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, rapporte avoir dit aux diplomates américains que « le Maroc exprime son étonnement quant à l’insistance de certaines parties à Washington et à New York pour que la visite au Maroc de Mme Pillay inclue une étape à Lâayoune », proposant seulement en lot de consolation que « la visite de Mme Pillay à Rabat offrira l’occasion de discuter l’ensemble des dimensions de la question des droits de l’Homme sur l’ensemble du territoire marocain y compris au Sahara ».
En conclusion, le diplomate confie à Salaheddine Mezouar que « notre argumentation sur les 1er et 2e points [tribunaux militaires et ONG] a été largement acceptée. Cependant, on a noté une forte insistance sur la visite à Lâayoune de Mme Pillay. La partie américaine a même suggérée une »escale d’une heure à l’aéroport de Lâayoune » ». Que la Haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme se rende au Sahara semble inacceptable pour le ministère des Affaires étrangères : « La visite de Mme Pillay devrait être gérée avec beaucoup de vigilance. Son extension à Lâayoune comme son annulation serait perçue comme une victoire par nos adversaires », peut-on également lire dans le document, qui espère que la visite du secrétaire d’État John Kerry en janvier [2014] permette de solliciter « un appui clair et concret des États-Unis d’Amérique à la position américaine ». En fin de compte, Navi Pillay est venue pour une visite de trois jours, limitée à Rabat.
Dans un document de travail intitulé Éléments d’une stratégie pour la gestion de l’exercice avril 2014-avril 2015 concernant la question du Sahara marocain, écrit vraisemblablement en avril 2014, on peut lire que « le Maroc doit se munir d’une doctrine claire sur [la question des visites des délégations étrangères dans les provinces du sud]. Cette doctrine doit concilier, d’une part, l’importance de démontrer l’ouverture du territoire et la normalité de la vie dans la région du Sahara marocain et, d’autre part, la fermeté nécessaire à l’égard des activistes hostiles au Maroc, qui se rendent clandestinement au Sahara à des moments précis et avec des agendas bien connus ».
Droits humains, la négociation permanente
On l’aura compris, les Américains sont pour le moins sceptiques sur les progrès en matière de droits de l’Homme au Maroc, à plus forte raison au Sahara. Le 2 juillet dernier, à l’issue d’une rencontre avec le conseiller politique de l’ambassade des Etats-Unis à Rabat, un diplomate renvoie une note non signée au ministre des Affaires étrangères. Si les Américains ont essayé de reparler des droits de l’Homme et de monitoring international sur la situation des droits humains au Sahara, visiblement ils se sont vus répondre que « bien que des problèmes existent bel et bien, c’est auprès du Maroc que se trouve la clé de réussite, ce qui signifie que la solution de la protection des droits de l’Homme au Maroc ne passe que par l’extension des mécanismes nationaux, et non par un monitoring international ». Les institutions internationales de protection des droits de l’Homme ne sont toujours pas les bienvenues.
Les discours lénifiants de la MAP sur les droits de l’Homme n’ont semble-t-il pas convaincu les Américains ; c’est ce qui ressort de la note confidentielle − et non signée − du 11 septembre 2013 adressée au ministre des Affaires étrangères, faisant état d’une rencontre tenue le jour-même avec notamment Susannah Cooper, directrice des affaires nord-africaines au département d’Etat américain, Matthew Lussenhop et David Greene, deux conseillers politiques à l’ambassade américaine à Rabat. On peut y lire que :
Mme Cooper a rapporté les échos régnant à Washington et estimant que :
– le CNDH ne jouit pas d’une grande visibilité aux États-Unis et qu’afin de se démarquer comme un mécanisme indépendant et crédible, le Conseil doit montrer et démontrer son indépendance d’opinion, son efficacité et sa capacité à imposer des actions au Gouvernement marocain ;
– plus vite le gouvernement marocain adopte les recommandations du CNDH, plus vite le CNDH impactera positivement l’opinion américaine.
La réponse marocaine sait visiblement se faire persuasive, puisque Susannah Cooper a finalement totalement capitulé devant le contre-argumentaire marocain sur la crédibilité du CNDH (voir document ci-joint à droite).
Mais quelles sont au juste ces cartes que peut jouer notre diplomatie pour tordre le bras de l’Oncle Sam quand il se fait trop pressant sur les droits de l’Homme ?
Premier argument du Maroc : les États-Unis peuvent compter sur lui en cas de besoin. Dans ce même document du 11 septembre 2013, on en trouve une illustration. Quelques jours plus tôt, le gouvernement américain cherchait à attribuer au régime de Bachar Al-Assad la trouble attaque chimique du 21 août à Ghouta (près de Damas), pour justifier son intervention (alors imminente) sur le terrain. Et le Maroc est venu lui apporter un précieux soutien diplomatique que Susannah Cooper a su reconnaître :
Mais outre ces soutiens ponctuels découlant du calendrier diplomatique, le Maroc dispose de cartes plus régulières. La nouvelle politique migratoire, le projet de Code de la presse sont par exemple plusieurs fois brandis dans l’échange avec les responsables américains.
Le Maroc a d’autres cartes, qu’il n’hésite pas à jouer : Rabat n’hésite pas à mettre en avant sa position géographique pour se montrer indispensable dans la lutte contre « le terrorisme, le trafic de stupéfiants, la migration illégale, le crime organisé, le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes », comme dans la note à l’attention du ministre [Salaheddine Mezouar] rédigée le 14 juin 2013 à l’issue de l’entrevue avec Wendy Sherman.
Un contexte géopolitique qui pèse. Tout en étant lucides sur les imperfections de la situation des droits humains au Maroc, les États-Unis ne semblent le prendre en ombrage que dans le cadre des négociations autour du dossier du Sahara. Car dans un compte-rendu de la direction des affaires américaines du ministère des Affaires étrangères, établi après une réunion avec David Greene, conseiller politique de l’ambassade des États-Unis, le 27 septembre 2013, peu de temps avant l’arrivée de Mohammed VI à Washington, on peut voir les États-Unis proposer au Maroc d’accélérer les négociations pour « un accord militaire », « le MCC [fonds de développement bilatéral en négociation entre les deux pays] » et de « mettre à la disposition du Maroc le savoir-faire sécuritaire américain afin de vous [le Maroc] accompagner dans un quelconque projet de formation en matière sécuritaire pouvant être proposé au profit de certains pays de la région, notamment la Libye, la Mauritanie et le Mali ».
Obama y sera-t-il ?
Les diplomates américains tentent quant à eux de séduire leurs homologues marocains avec ce dont ils semblent le plus friand : le prestige. La conclusion commune de cette visite au Maroc de la sous-secrétaire d’État américaine aux affaires politiques Wendy Sherman en comporte d’ailleurs une dose que le ministère des Affaires étrangères aura pu savourer :
En guise de conclusion, les deux parties se sont félicitées de ce dialogue constructif et du partenariat stratégique unissant le Maroc et les États-Unis et ont insisté sur la nécessité de renforcer les mécanismes de coopération et de coordination afin d’accompagner le Maroc dans son choix démocratique et de l’aider à jouer le rôle qui est le sien en tant que leader dans la région MENA en matière de réforme et de consolidation de l’État de droit.
Le Sommet mondial de l’entrepreneuriat, attribué en novembre 2013 au Maroc lors de la visite de Mohamed VI, a-t-il également servi de récompense de prestige ? Le 8 janvier 2014 déjà, une note émanant de la direction des affaires américaines du ministère des Affaires étrangères, rédigée dans le cadre du suivi de la visite royale aux États-Unis concluait qu’il fallait « prévoir le déplacement d’une délégation marocaine à Washington pour discuter des modalités d’organisation du Sommet Mondial de l’Entreprenariat surtout que la possibilité que M. le Président Obama y prenne part est très forte. » Six mois plus tard, en juillet dernier, à l’issue de la rencontre citée plus haut à l’ambassade américaine de Rabat, le diplomate marocain écrit « M. Greene m’a précisé que la Maison Blanche a retenu les dates du 19 au 21 novembre 2014, suivant la disponibilité du vice-président Biden, sans que la participation du président Obama ne soit écartée ». Plus de six mois durant lesquels le Maroc aura préparé l’événement avec le secret espoir d’accueillir Obama himself. A noter que Joe Biden, venu sans le président américain, n’a pas manqué d’utiliser l’événement pour adresser au Maroc quelques conseils, notamment en matière de libertés individuelles.
A ce jeu-là, les diplomates américains obtiennent eux-aussi de nos autorités des concessions. A l’issue de la visite de Mohammed VI aux États-Unis en novembre 2013, une réunion organisée par Mbarka Bouaida, ministre déléguée aux Affaires étrangères, avec sept hauts responsables du personnel diplomatique a notamment permis à Lotfi Bouchaara, chef de cabinet du ministre [Salaheddine Mezouar], de transmettre des inquiétudes des Américains concernant le communiqué que le comité Al-Qods allait prochainement publier. La solidarité transatlantique a permis de rassurer Washington : « S’agissant des remarques de M. Bouchaara quant aux inquiétudes américaines concernant le communiqué qui sera publié à l’occasion de la tenue de la réunion du Comité Alqods et qui pourrait perturber les efforts de médiation en cours de M. le Secrétaire d’État, John Kerry au Moyen-Orient, M. Bourita a informé les participants que ce point a déjà fait l’objet d’une discussion avec les responsables palestiniens pour que ledit communiqué soit équilibré. »
Bonjour, étrangement cette question de droits de l homme est histerique des que il s agit du Maroc. Le moindre incident est monté en épingle par nos adversaires pour ne pas dire nos ennemis. Nos voisins Liquident,abattent,éliminent et battent des mains de satisfaction partagée par les censeurs. Des qu il s agit de l Algérie il n y a plus de condamnation. Le monde est il fou?? Ou bien hypnotisé?? Y a t il des jeter de sorts?? Je commence à y croire tant les partis pris sont flagrants…….