A contre-courant. Les bonnes résolutions

Par Omar Saghi

Qui dit rentrée dit bonnes résolutions. De celles qui dérangent nos habitudes, comme se lever tôt. Or, dans nos horaires mentaux, le réveil matinal est depuis bien longtemps une grasse matinée infinie. Un sommeil de la raison qui s’appuie sur des peurs implicites : ne pas froisser un lectorat qu’on imagine toujours frileux, lisser sa pensée au nom d’une solidarité sociale imaginaire, faire passer l’émotion avant la froide analyse. A trop céder à ses penchants sentimentaux, la scène intellectuelle arabe est aujourd’hui un champ de ruines. Les fissures sont devenues des failles béantes, et personne n’ose pointer ce qui, pourtant, n’échappe à personne : une faillite globale de la pensée, hors quelques niches universitaires ou éditoriales intimistes.

L’optimisme, paradoxalement, est pourtant de mise aujourd’hui : la démographie dans le monde arabe est propice à une dynamique générationnelle, les révolutions de 2011 l’ont prouvé, les allocations de capital mondial – les investissements étrangers et les pétrodollars – le dotent d’une puissance qui ferait des jaloux en Afrique subsaharienne ou en Amérique Latine, voire dans une Europe plombée par la crise, le Maghreb, et le Maroc en particulier, peuvent être à la pointe d’une renaissance dont l’ensemble arabe en souffrance est en gésine.

Cet horizon démographique, économique et géopolitique qui se dégage, il faut lui associer une base sociopolitique qui a changé. Deux éléments sont à prendre en compte. Le réveil religieux a vaincu, dans l’opinion, et par les urnes. Partant, cette renaissance religieuse peut, et doit, être normalisée, c’est-à-dire critiquée, remise en perspective, dépassée. Les mosquées sont pleines, les femmes voilées, le discours néo-religieux omniprésent. Sommes-nous sauvés ? Meilleurs moralement, mieux armés culturellement ? Oui ? Non ? Peut-on passer à autre chose, débattre sans que l’accusation de traîtrise à la nation, de soumission à l’Occident, de crypto-sionisme ne soit agitée ? Voilà le premier point : la victoire islamiste, aussi compromise soit-elle, annonce la fin de l’ère islamiste. De nouvelles architectures idéologiques sont à bâtir.

Du boom démographique des années 1980 et 1990, une classe sociale est en train de naître, ouverte, polyglotte, connectée, et très largement déphasée par rapport aux débats de la génération précédente : gauche/droite, tiers-mondisme, altérité/identité, islamisme/laïcité, les grands partages mentaux post-indépendance ne sont plus les siens. Elle est politisée et pourtant elle tourne le dos aux partis, elle est engagée et pourtant elle délaisse la presse et le parlement, elle est dynamique et pourtant elle refuse la vie économique qu’on lui propose. Cette classe peut constituer le socle d’une nouvelle renaissance de pensée et de vie socioéconomique. Il lui faut le courage des commencements, le courage du risque.

On dit que la force d’une société tient à sa capacité à accepter les critiques. Le monde arabo-musulman, à cette aune, est bien faible. La moindre remarque provoque des orages hystériques. Mais je crois le temps venu de passer à autre chose.

On me traitera d’aliéné, on supputera d’obscurs calculs, et puis on finira par accepter un débat lucide et dépassionné, parce que ce travail critique, personne ne le fera à notre place, ni la complaisance néo-identitaire, qui se rassure en se regardant dans le miroir d’il y a mille ans, ni l’Occident qui, depuis longtemps, se satisfait de notre exotisme, tant que le pétrole coule à flots.