A Londres, dans l’une des plus grandes ambassades du Maroc, le roi a placé une femme de confiance : sa cousine. Une chrifa presque inconnue au bataillon des Alaouites mais qui joue, depuis, dans la cour des grands. Portrait-enquête.
Les médias publics et la MAP, en parlant de ses activités, l’appellent « Son Excellence Chrifa Lalla Joumala Alaoui ». L’ambassadrice du royaume à Londres est une diplomate au sang bleu : c’est la fille de Lalla Fatima Zahra, sœur de Hassan II et de Moulay Ali, son cousin (voir encadré). Elle tient son prénom peu commun de sa grand-mère paternelle, l’une des sœurs de Mohammed V. Sa nomination à la tête de la représentation diplomatique de Queens Gate Gardens, en 2009, rappelle le parcours de sa tante Lalla Aïcha qui avait occupé le même poste en 1965. « Le Palais reprenait ainsi en main la prestigieuse représentation auprès de l’une des plus vieilles dynasties de l’Europe et du monde », analyse un connaisseur des arcanes de la diplomatie chérifienne. Mais contrairement à Lalla Aïcha qui était une figure publique, sous le règne de Mohammed V, Lalla Joumala vivait dans l’anonymat comme c’est le lot de dizaines de descendants de la dynastie régnante. Rien ne semblait la destiner à ce haut poste diplomatique.
Une princesse de caractère
Comme la plupart des princesses, Lalla Joumala, qui a l’âge de Mohammed VI (elle est née en 1962), a grandi dans les allées du Méchouar. Elle suit ses premiers cours au Collège royal sous l’œil attentif des hommes de confiance de Hassan II, des fkihs et des maîtres d’école en costume-cravate, comme le veut la tradition du Makhzen. Mais l’adolescente, qui a une place particulière dans le cœur du monarque, eu égard à l’estime dans laquelle il tient ses parents, commence à montrer des signes de rébellion. Elle veut quitter l’école du Méchouar pour un autre établissement de la capitale. Hassan II refuse et ne tolère aucune discussion au moment où il est question de rejoindre une école de la Mission française. Il ne restera pas inébranlable. La jeune princesse maintient la pression, surtout que son père est rentré de France quelques années plus tôt, et obtient gain de cause. Elle intègre le lycée Descartes de Rabat. « Elle n’était pas particulièrement brillante et d’ailleurs ne faisait rien pour se faire remarquer », se souvient une ancienne élève de sa promotion. Son Bac B en poche, décroché en 1980, la jeune princesse doit choisir un établissement universitaire. Au lieu de mettre le cap sur la France, voire les Etats-Unis comme beaucoup d’autres membres de la famille royale, elle fait des pieds et des mains pour convaincre son entourage, Hassan II en premier lieu, de l’inscrire dans une université londonienne. Ce sera alors l’Ecole des études orientales et africaines (School of Oriental and African Studies, SOAS) relevant de l’Université de Londres et classée dans le top 5 des grandes écoles publiques britanniques.
Le caritatif contre l’ennui
De retour au Maroc, la fille aînée de Lalla Fatima Zahra n’en fait une nouvelle fois qu’à sa tête. Au lieu de Rabat, elle choisit de s’installer à Casablanca. Elle lit beaucoup et s’intéresse particulièrement aux questions humanitaires. Après un bref passage à Bank Al-Maghrib, elle s’engage corps et âme dans le caritatif. Son cadre de travail semble avoir été taillé sur mesure pour elle : elle officie au sein de l’association « Dar Al Ihsane », présidée par Lalla Hasna, sœur de Mohammed VI, qui s’occupe encore aujourd’hui de près de 400 orphelins à Casablanca. Elle effectue ses nouvelles missions tout en restant éloignée des projecteurs. Ce qui ne l’empêchera pas de se faire une place dans les salons huppés de Casablanca et Rabat. Elle noue de solides amitiés avec des personnalités publiques, mais aussi et surtout avec de grands mécènes. Et les dons suivent à volonté pour « Dar Al Ihsane », ONG qui peut aujourd’hui se payer le luxe de disposer de deux centres aux quartiers L’Oasis et Polo à Casablanca, en plus d’employer près de 200 personnes. Mais Lalla Joumala peut surtout compter sur ses liens de parenté avec les locataires du Méchouar. « En plus des princesses, elle a toujours eu droit à un traitement de faveur de la part de Mohammed VI, qui apprécie son sens de l’engagement et surtout sa discrétion », commente une source associative rbatie. « Avec sa petite coupe et son éternelle peau de bébé, elle était toujours habillée comme peut l’être une jeune aristocrate britannique descendant d’une famille conservatrice », évoque une journaliste marocaine qui l’a croisée à maintes reprises. C’est-à-dire sobrement, mais non sans élégance.
En cette fin des années 1990, il se chuchote déjà dans les salons de Rabat queLalla Joumala pourrait être nommée ambassadrice dans une capitale européenne. Il n’en sera rien. C’est finalement en 2001 que les Marocains et le monde entier découvrent vraiment cette cousine du roi. Mohammed VI lui confie la présidence de la délégation officielle lors d’une assemblée générale extraordinaire de l’ONU sur le sida, où elle donne lecture d’un message royal. Parfaite anglophone et dotée du sens du contact, elle accomplit sa mission avec brio.
London calling again
Lalla Joumala n’a pas oublié pour autant Londres qui l’a accueillie pendant de longues années. En 2003, la voilà qui y retourne, mais cette fois pour y créer la Moroccan british society (MBS), une ONG qui a pour objectif de rapprocher les deux pays. Et surtout de présenter le Maroc sous un meilleur jour. Parmi les membres de la MBS à sa création, on retrouve Hassan Abouyoub, Noureddine Bensouda ou encore Khalid Alioua. Moins de six mois plus tard, la MBS lance son premier grand chantier, toujours sous la supervision de la cousine du roi. Et c’est ainsi que voit le jour la « chaire Mohammed VI pour les études méditerranéennes » au St Antony College relevant d’Oxford, l’une des plus prestigieuses universités du monde. « C’était pour la beauté du geste, car cet établissement comprend des dizaines de chaires similaires », commente un journaliste marocain installé à Londres. Quoi qu’il en soit, Mohammed VI tient à véhiculer l’image d’un pays tolérant et engagé sur la voie de la modernité. Pour la petite histoire, l’un des premiers boursiers de cette chaire a préparé une thèse sur la notion du jihad dans la pensée de Abdeslam Yassine.
En 2007, Lalla Joumala organise également le « Sacred », une exposition de textes sacrés des trois religions. La MBS, pour l’occasion, sort les grands moyens. Parmi les sponsors, côté marocain, on retrouve les plus grands groupes du pays : l’ONA, Akwa, l’OCP et la CDG. Normal, quand une telle manifestation bénéficie du double patronage de Mohammed VI et du duc d’Edimbourg, l’époux d’Elisabeth II. En janvier 2009, la cousine du roi a enfin le feu vert du Palais pour s’installer à Londres. Et cette fois en tant qu’ambassadrice. En février de la même année, Marocains et Britanniques peuvent voir les images de cette princesse, en takchita made in Dar El Makhzen, reçue par la reine Elisabeth dans son palais et avec les honneurs dus à son rang. « La presse marocaine a un peu exagéré les choses. Il est de tradition en Grande-Bretagne de voir les ambassadeurs étrangers présenter leurs lettres d’accréditation à la reine », souligne un vieux diplomate. D’ailleurs, le titre officiel de Lalla Joumala est celui d’ambassadeur de Sa Majesté le roi du Maroc auprès de la Cour de Saint James.
Une femme d’influence
Mais, à Londres, on ne traite pas une princesse ambassadrice comme on le ferait avec un quelconque diplomate. La famille royale britannique réserve un traitement de faveur à Lalla Joumala, et plusieurs membres du clan Windsor répondent présent aux somptueuses cérémonies qu’elle organise. Elle serait d’ailleurs très proche du prince Charles et de Camilla, son épouse. Lors du voyage de ce couple au Maroc, en 2011, l’ambassadrice a tout supervisé pour que leur séjour se passe dans les meilleures conditions. « Elle est intervenue pour régler plusieurs détails, étant une grande connaisseuse du mode de vie des princes britanniques et de leurs goûts », précise une source à Rabat. Princes et jet-set londoniens le lui rendent bien par ailleurs. La princesse Alexandra de Kent, cousine d’Elisabeth II, est membre honorifique de la MBS. Il y a encore quelques mois, c’est Eve, la maman de Richard Branson, le milliardaire et patron de Virgin, qui animait une soirée caritative de la même MBS dont fait partie sa fille, Vanessa.
Au-delà de son action et sa présence à Londres, la cousine du roi est tout aussi bien écoutée au Maroc. Les manifestations qu’elle organise réunissent généralement l’élite du pays. « Je n’ai jamais vu, de ma vie, un ambassadeur marocain d’une telle efficacité. Elle veille à tout et son entourage lui obéit au petit doigt », témoigne un journaliste qui l’avait croisée à maintes reprises lors de forums économiques organisés à Londres. Influente ? Elle le serait au point de proposer un de ses proches pour un poste de ministre. C’est, en tout cas ce qui a été rapporté concernant la nomination de Yassir Zenagui à la tête du ministère du Tourisme, début janvier 2010. Quand TelQuel lui avait posé la question trois semaines plus tard, en marge d’un conseil national du RNI à Marrakech, l’actuel conseiller de Mohammed VI avait esquissé un sourire désemparé avant de s’éclipser.
Des tajines et de l’art
Lalla Joumala ne lésine jamais sur les moyens quand il s’agit d’épater ses invités. Les fêtes du trône célébrées dans sa résidence londonienne sont courues par des dizaines de diplomates et de hauts responsables. Et tout le monde s’extasie sur les petits plats typiquement marocains servis par des domestiques tout aussi typiques. Dans The Embassy Magazine, publication spécialisée dans la vie des chancelleries étrangères, le Maroc se taille toujours une place de choix. Lalla Joumala, qui a compris l’utilité de telles couvertures, ouvre ses portes aux correspondants de cette publication qui semble s’en tenir à un contrat non écrit : se limiter au caractère officiel et éviter de s’intéresser à la vie intime de l’ambassadrice et son petit monde.
La cousine du roi a aussi compris que l’art peut être l’une des meilleures manières de rapprocher le Maroc du reste du monde. Suivant ce qu’il se passe au Maroc, elle n’hésite pas à apporter son soutien à l’Institut français de Londres pour la projection du film Casanegra de Nour-Eddine Lakhmari, à inviter Sapho et Nass El Ghiwane pour un concert, voire à appuyer une rétrospective du réalisateur Ahmed Maânouni. Pour tout cela, attend-elle toujours le feu vert du ministère des Affaires étrangères ? La question fait sourire un connaisseur des rouages de notre diplomatie. « Avec Taïeb Fassi-Fihri, le courant passait très bien. Avec Saâd-Eddine El Othmani moins, mais là avec Salaheddine Mezouar, ça ne peut être que mieux », confie notre interlocuteur. Et puis, Lalla Joumala a son propre staff qu’elle a, en grande partie, choisi elle-même. Dans le lot, et pour les postes les plus importants, elle a opté pour des proches comme Othmane Bahnini, fils de l’ancien Premier ministre de Hassan II, tué lors du putsch de Skhirat en 1971.
Chkoun Joumala ?
Présente sur le front économique, et moins sur le volet politique, cette tâche étant en général déléguée à ses collaborateurs, Lalla Joumala reste une inconnue au sein de la communauté des Marocains résidant au Royaume-Uni. Les rares qui parviennent à se souvenir de son nom parlent d’une femme « hautaine » s’exprimant rarement en darija, avec cet accent propre aux « gens du Palais ». « La communauté des Marocains à Londres est très différente de celles d’autres pays comme la France ou la Belgique. Elle ne s’intéresse pas trop à la politique et moins à son pays d’origine », explique un journaliste installé dans la capitale britannique. « De toute manière, tout ce qui nous lie à cette ambassade et au consulat sont les procédures administratives et s’adresser à eux est souvent synonyme de calvaire », affirme une jeune mère de famille originaire de Tanger. Normal, oserait-on dire, puisque l’écrasante majorité des Marocains de la diaspora trouvent toujours à redire à propos des prestations de nos chancelleries à l’étranger. Mais ce n’est pas l’avis de tout le monde. « C’est une femme agréable qui prend le temps d’écouter, de rassurer et d’avoir un mot gentil », affirme un retraité marocain installé au Royaume-Uni. « L’ambassadrice est populaire auprès des anciennes générations. La raison est qu’elle est plus sensible à leurs problèmes. On dit qu’elle a beaucoup d’estime pour ces personnes qui ont galéré pour s’imposer dans la société britannique », explique notre retraité, arrivé de son patelin près de Larache dans les années 1960. Célèbre ou pas, il reste toujours difficile d’approcher Lalla Joumala. Le seul journaliste marocain à l’avoir interviewée a dû attendre plus de six mois avant de recevoir une réponse à quelques questions somme toute banales et traitant d’économie et d’échanges entre le Maroc et le Royaume-Uni. En cinq ans, la cousine de Mohammed VI n’a accordé que de très rares entretiens à la presse british. Au Financial Times, en premier lieu, et surtout pour vendre encore l’image d’un pays attractif, stable et ouvert. Et d’une monarchie mue par la volonté d’aller de l’avant. La presse nationale, Lalla Joumala ne semble pas la porter dans son cœur, comme le reste des locataires du Palais. En 2011, quand certains sites électroniques ont cité son nom parmi les bénéficiaires de la célèbre liste des grimate dévoilée par Aziz Rabbah, la réponse, sévère et inédite, est venue de son avocat. Hicham Naciri, également avocat du Palais, a publié un communiqué au ton menaçant, sans toutefois apporter le moindre éclaircissement. Aujourd’hui, alors que les rumeurs vont bon train au sujet d’une nouvelle valse des ambassadeurs, le nom de Lalla Joumala est à nouveau cité parmi les diplomates censés rentrer au bercail. Cinquante ans avant elle, Lalla Aïcha n’avait pas tenu plus de quatre ans à ce poste.
Moulay Ali Alaoui. Un cousin dévoué Le père de Lalla Joumala était assurément l’un des cousins les plus chers au cœur de Hassan II. Ce neveu de Mohammed V a volontairement choisi de rejoindre la famille royale lors de son exil à Madagascar. C’est en cette période que de forts liens se tissent entre le prince héritier et son cousin. De retour d’exil, Moulay Ali Alaoui obtient le titre de prince qui lui est accordé par Mohammed V. A Paris, les deux cousins deviennent inséparables lors des premières années de l’indépendance. A cette complicité s’ajoute une alliance : Moulay Ali Alaoui épouse Lalla Fatima Zahra, fille de Mohammed V. En 1964, Hassan II le nomme ambassadeur à Paris, où il succède à Mohamed Cherkaoui, un autre gendre de Mohammed V (mari de Lalla Malika). Homme de confiance du Palais, c’est Moulay Ali Alaoui qui est mandaté pour convaincre Mehdi Ben Barka de revenir au Maroc. Les deux hommes se rencontrent plusieurs fois à Francfort, mais tout finit avec la tragique issue que l’on connaît : l’enlèvement du leader de gauche, dont le sort reste inconnu jusqu’à nos jours. Fin 1969, le cousin de Hassan II est rappelé à Rabat et cède la place à Abdessadek El Glaoui. Au Maroc, il est nommé à la tête de la Cosumar et s’occupe de ses affaires personnelles. Parmi ses amis intimes et associés, on ne peut s’empêcher de citer un certain Ahmed Réda Guédira, conseiller de Hassan II. C’est avec ce dernier que Moulay Ali Alaoui quitte le palais de Skhirat un fameux 10 juillet 1971, avant que le 42ème anniversaire de Hassan II ne tourne au massacre. Moulay Ali Alaoui s’est éteint en 1988.[/encadre]
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