Zakaria Boualem et la polygamie

Par Réda Allali

Zakaria Boualem souffre du froid. Comme tous les ans, il est surpris par le froid. Il serait logique d’imaginer qu’une surprise répétée perde son statut de surprise, mais ce n’est pas le cas chez nous. Nous sommes surpris tous les ans par le froid, la pluie, nous sommes un pays qui passe l’hiver sous la couverture à grogner, c’est comme ça. C’est ainsi que le bon Zakaria Boualem a découvert qu’il se trouvait un certain nombre de compatriotes émus à la lecture d’une information rapportant que le parlement de notre paisible contrée consacrait un tiers de son budget à la restauration. Cette indignation est bien entendu parfaitement farfelue. Faudrait-il, pour satisfaire ces grognons, que nos parlementaires meurent de faim ? Ils n’ont pas consacré un tiers de leur budget à l’achat de véhicules dispendieux ou de villas sur la Croisette, non. Ils ont juste mangé, comme tout le monde, et vous n’êtes toujours pas contents, c’est injuste. En ces temps ténébreux, il faut garder l’esprit clair. C’est précisément ce qu’a tenté de faire ce brave Cheikh Fizazi, que Dieu lui vienne en aide. Sur 2M, il a défendu avec bravoure le concept de polygamie en se basant sur des arguments mathématiquement absurdes. Il y a trop de femmes célibataires, donc il faut de la polygamie pour absorber cette infamie, nous a-t-il déclaré en substance et merci (le et merci n’est pas de lui). Il faut peu de temps pour se rendre compte que cette affaire, d’un strict point de vue démographique, ne tient pas la route.

 

Entendons-nous bien, Zakaria Boualem n’a rien contre la polygamie, il aurait même tendance à trouver ce mode de vie plutôt séduisant. Seule une farouche opposition de son entourage féminin le pousse à renoncer à ce noble projet. Pour autant, il propose à Fizazi d’avancer des arguments plus clairs et plus fédérateurs que cette idiotie arithmétique. Il faudrait plutôt qu’il nous dise « la polygamie, c’est bien parce que c’est bien pour l’homme ». Et voilà, tout simplement. Bâtir un argumentaire sur cet axe l’éloignerait des errements d’une arithmétique mal maîtrisée, et pourrait sans doute faire mouche chez tous ceux qui sont honnêtes avec eux-mêmes. Voilà, c’était la contribution de Zakaria Boualem à cet important débat de société. Toujours dans la même gamme, un extrait de journal tourne sur le Web. On y lit la question d’un lecteur angoissé à l’idée de survoler des territoires impies. Il se demande, le malheureux, s’il risque de récolter des péchés par une sorte de contamination verticale. Le spécialiste du journal lui répond qu’il faut demander au pilote de changer de route, de viser les zones aériennes musulmanes, facilement repérables grâce à la présence de minarets. Bon. C’est très probablement un faux, une sorte de blague. Il ne fait aucun doute qu’il puisse se trouver un spectaculaire crétin capable de se poser une question aussi stupide, mais la réponse du journal est au-delà du réel. La question n’est pas de savoir si c’est un faux. Le fait est que nous nageons dans un tel délire collectif que la question se pose vraiment. Le simple fait d’envisager un débat de cette nature est un signe très inquiétant.

 

Vous pouvez imaginer n’importe quelle absurdité, vous serez pris au sérieux parce que quelqu’un d’autre l’aura envisagée,
sérieusement, lui. D’où la question qui tourmente notre héros depuis de longs mois sans qu’il ne puisse trouver de réponse satisfaisante : avons-nous basculé, ou avons-nous toujours été comme ça ? L’Internet est-il la cause de l’irruption de notre absurdité sur la place publique alors qu’elle était cachée, ou celle-ci est-elle en pleine expansion ? Pour les Français, la réponse est facile : leur histoire de quenelle est la preuve qu’ils ont basculé. Mais nous ? Je vous laisse réfléchir, Zakaria Boualem attend vos réponses pour la semaine prochaine. Et merci.