Zakaria Boualem et le débat sur la darija

Par Réda Allali

Salut à vous, les amis, un Zakaria Boualem de bonne humeur vous accueille. Il ne vous aura pas échappé que notre paisible contrée connaît depuis ces dernières semaines un débat des plus trapus. Oui, un de plus, c’est épuisant. Il s’est trouvé un brave homme pour proposer d’utiliser la darija comme langue d’enseignement. Une hérésie. Il a aussitôt été remis à sa place par une masse de citoyens indignés qui lui ont fait remarquer son incompétence en matière d’enseignement et de langue. Passant outre la leur (d’incompétence), ils sont montés au créneau pour défendre l’arabe classique, c’était très émouvant. Zakaria Boualem s’est abstenu de donner son avis, juste pour éviter de se faire insulter. Depuis quelques mois, notre Guercifi trouve plus de plaisir à observer et à décrire ce qui l’entoure qu’à exprimer une opinion. Il s’abstient même souvent d’en avoir une, ce genre de truc apporte beaucoup d’ennuis. Il va quand même vous proposer un petit résumé des arguments de ceux qui luttent contre la darija à l’école. Il passe outre les arguments liés au porteur du projet, ils relèvent du chkountabachisme (attitude consistant à se focaliser sur l’opposant plutôt que sur ses paroles), de même qu’il va ignorer toutes les divagations évoquant un complot sioniste ou la dislocation de la oumma. Il va également écarter l’argument qui consiste à expliquer que la darija est diverse selon les régions : à sa connaissance, un Sahraoui et un Oujdi ne basculent pas vers la fous7a en constatant leurs divergences de dialecte.

 

Argument 1 :Le militantisme pour la darija relève d’une élite francophone incapable d’apprendre l’arabe. Bon, Zakaria Boualem pense aussitôt à sa grand-mère, qui ne parle pas un mot de français. La plupart de ceux qui ne parlent que darija ne parlent pas français, en fait, ça rend cet argument bizarre. Et réversible : et si ceux qui défendent l’arabe classique étaient des érudits jaloux de leur savoir et effrayés à l’idée de perdre leurs privilèges ?

Argument 2 : Le système éducatif est mauvais et la langue n’y est pour rien. Zakaria Boualem est d’accord sur ce point. Il est même possible que si notre glorieuse école se mettait à enseigner la darija, on finisse par perdre la seule langue qu’on maîtrise. Imaginez un peu l’ampleur du désastre. Maintenant, Zakaria Boualem va faire un pronostic. Il va vous prédire ce qu’il va se passer : rien. Walou. Il est inutile de s’écharper pour savoir si cette question de darija est une bonne ou une mauvaise idée, comment l’articuler avec le berbère, nous sommes de toute façon profondément incapables de lancer un tel chantier. La puissance de l’existant, alliée à une certaine incompétence collective, rend toute réforme ambitieuse illusoire. On va donc continuer comme on fait aujourd’hui. On va s’envoyer des sms avec des 3, des 7 et des 8. Parce qu’il faut être lucide : l’expression écrite n’est plus le fait d’une élite lettrée.

Tout le monde écrit. Des tonnes de sms, des milliers de posts Facebook par exemple. Et ils s’écrivent en darija, soit avec des caractères arabes, soit avec des lettres latines et des chiffres pour compléter ce qui manque. Allez faire un tour sur les pages marocaines les plus populaires de la Toile et constatez. C’est assez vilain mais plutôt efficace. Ça aurait été sympa d’offrir à tout ce monde un peu de structure pour donner à cette forme d’expression écrite un minimum de tenue, mais c’est effectivement très compliqué, surtout dans l’état d’épuisement collectif qui nous a frappés. Vous imaginez bien que Abdelmoughit Belfrit, dont on vous a parlé il y a quelques semaines, ne va pas attendre la fin de ce terrible débat pour se décider sur la langue à utiliser pour proposer à sa voisine un rendez-vous par sms. Il a déjà tranché, le bougre. Il est devant l’urgence. Voilà, Zakaria Boualem n’est pas linguiste, mais il pense depuis longtemps qu’on aurait dû donner à notre langue un autre statut, c’est une question de fierté, d’identité et aussi d’efficacité. Wa Allah ou a3lam, et merci.