Le roi voyageur

Par Telquel

Le roi du Maroc aime voyager. C’est une seconde nature chez lui. Au point que le voyage, avec Mohammed VI, est devenu un mode d’expression. Et une manière de gouverner, de communiquer, voire d’exercer et d’incarner le pouvoir. La symbolique qui est liée au voyage est très forte, d’autant que le roi ne parle pas beaucoup, voire pas du tout – en dehors des discours épisodiques qui obéissent, à leur tour, à une codification spéciale, très lourde, hermétique, faite de lecture entre les lignes et de perception positive ou négative selon le rythme, le phrasé, le souffle, la respiration, l’intonation, le cérémonial, etc.

Rien d’étonnant, dès lors, que le peuple ne demande plus à savoir “ce qu’a dit le roi” puisque les réponses sont frustrantes, mais “où il est, avec qui, et pourquoi”. Cela tombe bien : le roi est en voyage cette semaine, et il n’est pas seul, loin de là, alors essayons avec les quelques éléments en notre possession, qui sont assez pauvres (et pour cause, la presse indépendante est pratiquement interdite de séjour lors des voyages du chef de l’Etat), de répondre à la question  “où il est et pourquoi ?”. Par souci d’objectivité, je précise que nous allons davantage essayer de “deviner” que de savoir proprement puisque l’institution monarchique, en plus de refuser la presse, ne dispose d’aucun porte-parole ou chargé de communication. On se débrouille donc comme on peut.

Prêts ? Allons-y. Mohammed VI a entamé une tournée officielle, la première de cette envergure depuis l’adoption d’une nouvelle constitution, dans les pays du Golfe. Au programme Arabie Saoudite, Qatar, Koweït, Emirats, en plus de la Jordanie. Pourquoi ? Il suffit d’examiner la composition extraordinairement pléthorique de la délégation qui l’accompagne pour le savoir – deviner. Le roi a pris, dans ses bagages, le “vice-roi” Fouad Ali El Himma et Monsieur investissements Yasser Zenagui. Il ne fait pratiquement rien sans consulter le premier et il a besoin du deuxième pour valider des montages financiers, voire des opérations touristiques complexes. Il a aussi pris sa conseillère Zoulikha Nasri, que certains appellent non sans raison la ministre des fondations (et toutes les fondations ont besoin de fonds). Sans parler des ministres de l’Energie, du Transport, des Habous, de la Santé, des Affaires générales, etc. Cela fait un monde fou, n’est-ce pas ? En dehors du Chef de l’Exécutif Abdelilah Benkirane et du porte-parole du gouvernement Mustapha El Khalfi, le roi a pratiquement réquisitionné l’intégralité de son gouvernement et de son cabinet. En plus du premier cercle de ses proches.

Ce n’est pas seulement pour effectuer le pèlerinage de la Omra à La Mecque que tout ce beau monde a été embarqué dans les valises royales. Le Maroc a besoin de lever des fonds, et encore des fonds, pour finaliser les mille et un chantiers en cours, et qui vont du lancement du TGV au Plan vert, l’amélioration des réseaux routiers, des hôpitaux, etc. Il a surtout besoin d’argent pour préserver la si fragile paix sociale. Et cet argent, il ne l’a pas.

Il faut bien admettre, que l’on soit d’accord ou non, que le Maroc sort d’un Printemps arabe dans lequel il a été perçu, par les puissances étrangères, comme un bon élève. Mais le bon élève risque de s’écrouler à cause de ses finances exsangues. Alors il compte sur la bienveillance habituelle des créanciers internationaux et, surtout, sur l’aide directe des pétromonarchies du Golfe. En échange, comme d’habitude, de l’assistance sécuritaire que le royaume continuera de dispenser à ses amis du Golfe – d’où sans doute la présence, parmi la délégation, du premier militaire du pays, le général Abdelaziz Bennani.

Dans le même ordre d’idées, nous pouvons faire l’effort de “deviner”, encore, que l’exceptionnelle délégation royale fasse escale aussi en Jordanie. Echange d’amabilités et de “bonnes recettes”, sans plus, le royaume hachémite offrant  de nombreuses similitudes avec le royaume alaouite : menacé par des finances dans le rouge, dominé par les islamistes, loin des standards de démocratie et du partage des pouvoirs, mais déclaré bon élève, malgré tout, du fameux Printemps arabe… 

Devinons, devinons.