Tribune. Gare au TGV !

Omar Balafrej. Crédit : DR

D’un coût exorbitant de 25 milliards de dirhams, qui auraient pu être investis ailleurs, le projet de Train à grande vitesse symbolise la confrontation entre deux projets de société.

Il est tout à fait normal que le projet de TGV attise les passions au Maroc. Je dirais même que l’inverse serait anormal dans un pays classé seulement 130ème sur l’échelle du développement humain du PNUD. En effet, le budget de ce projet dépasse déjà les 25 milliards de dirhams. Or 25 milliards de dirhams pour notre pays, c’est beaucoup d’argent. Pour s’en faire une idée, nous avons au sein du collectif “Stop TGV”, donné quelques exemples. 25 milliards c’est par exemple 25 000 écoles dans le monde rural, 10 000 médiathèques pour ceux que l’éducation et la culture intéressent. 25 milliards c’est aussi 16 000 km de routes rurales pour tous ceux que le désenclavement de l’Atlas intéresse. 25 milliards c’est l’équivalent de 6000 hectares de zones industrielles pour ceux qui pensent qu’un pays ne sort pas de la pauvreté sans développer son industrie….

Continuité vs rupture

Il est, aussi, normal que le projet TGV attise les passions car il symbolise une confrontation entre deux projets de société. Un projet de société de continuité. Ses défenseurs semblent assumer l’idée que le Maroc est sur la bonne voie. Que ces dix dernières années ont été fructueuses et qu’il ne faut donc rien changer de fondamental. Le TGV est pour ceux-là un grand chantier de plus qui servira à rapprocher les plus fortunés parmi nos concitoyens de Tanger de leurs homologues de Casablanca. Les plus sincères sont, de manière générale, convaincus que le développement passe d’abord par l’épanouissement et l’enrichissement des plus riches et que ceux-ci, grâce à leur “dynamisme”, pourront ensuite créer des richesses pour le reste du pays.  Il n’est donc pas grave pour eux que le schéma directeur du ferroviaire au Maroc à l’horizon 2030 ne prévoit de train ni pour Midelt, ni pour Errachidia ni encore moins pour Ouarzazate ou Zagora. Les habitants de ces régions sont pauvres et beaucoup sont illettrés. Qu’ils attendent un peu. Les futurs golden boys casablancais ou tangérois finiront bien un jour par leur trouver du travail. L’autre projet de société, celui que je m’attèle à défendre avec tous mes amis, est au contraire un projet de rupture, une rupture non violente mais une rupture tout de même. Pourquoi ? Parce que notre cher pays, le Maroc, ne va pas bien, ou si vous préférez, ne va pas assez bien. Nous stagnons depuis des années à l’avant-dernière place de la région sur l’échelle du PNUD à cause d’un système éducatif inadéquat mais aussi sous dimensionné. Savez-vous par exemple que la Tunisie, pays trois fois plus petit que le Maroc, compte 700 000 étudiants alors que nous n’en avons que 400 000 ! Par ailleurs, nos taux de croissance sont poussifs et ne nous permettent pas d’espérer atteindre, dans les 25 prochaines années, ce que nous avions appelé en 2009, à la Fondation Abderrahim Bouabid, un niveau de développement raisonnable pour la prochaine génération…

Un autre Maroc est possible

J’appartiens donc à ceux qui souhaitent un autre projet de société. Pour qu’enfin, dans notre cher pays, l’intelligence collective se mette en marche et trace une vision d’avenir claire et ambitieuse. Traitez-moi d’idéaliste, j’assume pleinement. Rien d’important n’a jamais été accompli sans idéaux. Pour ma part, je ne veux qu’une chose, que de mon vivant je puisse vivre dans un Maroc de justice sociale, un Maroc de prospérité partagée, un Maroc d’innovation. Un Maroc sans complexes. Cet autre Maroc est possible mais il appelle du courage. Le courage pour les uns de condamner ce qui ne va pas dans la société, de proposer des alternatives, et pour les autres, le courage d’accepter de revenir sur de mauvaises décisions. La maturité politique d’un homme d’Etat se mesure aussi dans sa capacité à corriger les erreurs. Le TGV en est une.

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