Demain la liberté

Par Karim Boukhari

Nous allons beaucoup parler, dans les semaines à venir, de la liberté de la presse. La question est d’actualité et un nouveau Code de la presse devrait voir le jour, si tout va bien, avant la prochaine rentrée politique. C’est inscrit parmi les priorités de l’agenda du gouvernement et du parlement, voire de la monarchie. C’est surtout inscrit dans nos gènes à nous, journalistes et citoyens épris de liberté…
Cela fait au moins quatre ans que la réforme du Code de la presse est une “priorité” pour tout le monde. En 2007, le gouvernement sortant de Driss Jettou voulait concrétiser le projet avant de passer la main au gouvernement Abbas El Fassi. Mais cela ne s’est pas fait à cause d’un trop grand nombre de questions liées à la sacralité (de l’institution monarchique, de la personne du roi, de l’intégrité territoriale, de la religion musulmane, etc.) sur lesquelles le pouvoir n’a pas lâché prise. Le rapport de forces était clairement défavorable aux défenseurs de la liberté et le dossier a été vite refermé sans être étudié dans le détail. Depuis 2007, donc, et faute d’accord entre les principaux intéressés (c’est-à-dire, pour résumer, entre le pouvoir et les professionnels de la presse), le projet est retourné aux oubliettes et la presse que vous lisez tous les jours et toutes les semaines continue d’être régie par un Code globalement liberticide et indigne d’un pays moderne. Nous osons mais nous avançons sur un terrain extrêmement miné. Nous disons les choses mais en nous exposant à des risques fous. Nous prenons des coups injustes, nous tombons mais nous nous relevons en nous disant que nous étions dans le vrai et que les “bons” finissent toujours par triompher, comme dans un bon western hollywoodien. C’était cela notre réalité. Et nous avons tenu le coup, tant bien que mal. Nous avons résisté et nous avons pu durer en comptant, d’abord, sur un noyau de lecteurs fidèles et de supporters irréductibles. Et puis la roue a tourné et de l’eau, beaucoup d’eau, est passée sous les ponts. La situation qui se présente à nous aujourd’hui est nouvelle. En février, quand nous avons compris que le printemps arabe arrivait définitivement au Maroc, avec son cortège de libertés et de nouveaux espaces d’expression, nous avons fait en sorte de remettre sur la table l’idée d’un nouveau Code qui élargit l’espace des libertés. La marge de manœuvre dont nous disposons aujourd’hui, et qui est réellement encourageante, doit être consolidée et renforcée. Nous voulons rendre impossible l’éventualité d’un retour en arrière, nous voulons interdire les interdits et, pour cela, l’élan que nous vivons aujourd’hui, et que l’on doit en grande partie à ce qu’on peut appeler “la 20 févrierisation de la société”, ne doit pas être conjoncturel mais structurel. Il faut l’inscrire dans nos gènes et dans nos lois. Demain, c’est-à-dire dans une semaine ou un an, nous voulons ouvrir nos colonnes à ceux qui disent “Non”, ou alors “Oui mais”, à ceux qui parlent vrai, à ceux qui disent “Je”, et qui n’ont reçu aucune autorisation préalable. Nous voulons simplement que les idées qui traversent la société marocaine, et qui peuvent parfois être violentes, voire “choquantes”, soient argumentées et exprimées dans toute leur plénitude. Nous y gagnerions tous et ceux qui ne sont pas d’accord auront au moins gagné à explorer le point de vue de l’autre. Nous voulons que la différence continue de s’exprimer, mais dans les règles de l’art, et nous croyons que c’est utile, important et vital pour un pays comme le Maroc.
Voilà pourquoi nous allons militer pour un Code de la presse moderne et débarrassé des archaïsmes du passé. Le texte à élaborer doit être clair sur des points relevant du “respect” des fondamentaux de la nation. Respecter une institution, c’est une chose, mais y être asservi c’en est une autre. Nous respectons l’islam, le Sahara et la monarchie, mais nous avons le droit de les critiquer. Nous continuerons donc de le faire. C’est notre rôle, notre vocation, notre plus-value. Après tout, l’islam est bien une religion parmi d’autres, le Sahara continue de nous coûter cher et le roi n’est pas Dieu. Plutôt que de nous aider à accomplir notre mission, l’actuel Code de la presse veille sur nous comme un cruel beau-père, menaçant et intimidant. Nous allons tout faire pour nous en débarrasser au plus vite. Si vous le voulez bien.