A fin 2021, 108 entreprises ont décroché le label RSE de la CGEM. Crédit: DR

RSE : un bon cadre mais peut mieux faire

La Responsabilité sociale - ou sociétale - des entreprises (RSE) est aujourd’hui un crédo sacré pour les directeurs des ressources humaines (DRH) et autres managers de grandes entreprises. Pour beaucoup, elle s’apparente à un totem d’immunité contre les bad buzz qui pourraient écorner la réputation de leur institution. Pour d’autres, il s’agit d’une manière d’allier performance financière et bien-être des employés tout en respectant l’environnement dans lequel agit l’entreprise.

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Il est largement accepté dans le monde académique que le terme est apparu au début des années 1950 aux Etats-Unis grâce à l’économiste Howard R. Bowen dans son essai Social Responsibilities of the Businessmen.

Le terme de ‘responsabilité sociale’ des hommes d’affaires […] renvoie à leurs obligations de suivre les politiques, de prendre les décisions, ou de suivre les orientations qui sont désirables en termes d’objectifs et de valeurs pour notre société”, lit-on dans l’ouvrage de l’universitaire qui a présidé plusieurs établissements d’enseignement supérieur dont le Grinnell College et l’université de l’Iowa.

Outre-Atlantique, cette prise de conscience patronale aurait eu lieu lors de la Grande Dépression des années 1930. Depuis cette période sombre de l’économie américaine, universitaires et hommes d’affaires se sont penchés sur l’impact de l’entrepreneuriat sur la société ainsi que l’environnement dans lesquels il évolue. Néanmoins, certains spécialistes ont tracé des origines de la RSE remontant au 18e siècle.

Quoi qu’il en soit, plus de 50 ans après Bowen, en 2010, la RSE a fait pour la première fois l’objet d’une norme ISO. Ainsi, la norme 26000 définit la RSE comme étant “la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et de ses activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement transparent et éthique qui contribue au développement durable y compris à la santé et au bien-être de la société, prend en compte les attentes des parties prenantes, respecte les lois en vigueur, est compatible avec les normes internationales et est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations”.

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Une naissance tardive au Maroc

Le concept de RSE a fait son irruption dans le Royaume au début des années 2000, grâce notamment aux filiales locales des multinationales déjà sensibilisées par les préceptes de bien-être au travail et de développement durable.

La RSE a même été mentionnée dans un message du roi Mohammed VI lors de la troisième édition des Intégrales de l’Investissement, en 2005: “La responsabilité sociale des investisseurs a pour pendant et pour condition la responsabilité sociale des entreprises. À cet égard, Nous suivons avec intérêt et satisfaction l’action des entreprises marocaines qui se sont volontairement engagées dans cette voie”.

Ce message a encouragé à la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) à adopter une charte RSE, en décembre 2006, dont les références sont inspirées de normes publiques internationales dont le Pacte Mondial des Nations Unies, les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), ainsi que des principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des grands traités environnementaux.

Cette charte s’articule autour de neuf axes principaux : respecter les droits humains; améliorer en continu les conditions d’emploi et de travail et les relations professionnelles; préserver l’environnement; prévenir la corruption; respecter les règles de la saine concurrence; renforcer la transparence du gouvernement d’entreprise; respecter les intérêts des clients et des consommateurs; promouvoir la responsabilité sociétale des fournisseurs et sous-traitants et enfin développer l’engagement envers la communauté.

A fin 2021, 108 entreprises ont décroché le label RSE de la CGEM, dont un tiers de PME et 30% d’entreprises cotées en bourse. Pour celles-ci, ce label permet d’améliorer leur compétitivité et donc leur accès aux marchés. En 2019, la CGEM et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) ont mis en place le “Réseau Pacte Mondial Maroc”. Aux dernières nouvelles, une quinzaine d’entreprises marocaines ont adhéré à ce réseau local.

RSE, une confusion marocaine

Le chercheur et professeur à la faculté des sciences juridique, économiques et sociales (FSJES) d’Ain Chock de Casablanca Adil Cherkaoui a enquêté sur la manière dont les hommes d’affaires marocains assimilent les fondements de la RSE.

Dans son article intitulé “Pratiques RSE des PME au Maroc : une analyse perceptuelle auprès des dirigeants casablancais”, il fait état d’une “confusion qui règne encore autour du concept de RSE dans la mesure où il est réduit aux seules préoccupations sociales que l’entreprise intègre vis-à-vis ses collaborateurs”.

Celui qui a aussi écrit l’ouvrage référence en la matière (Responsabilité sociale des entreprises au Maroc, paru aux éditions l’Harmattan en 2019), “l’analyse des contenus des interviews réalisées soulèvent que la taille de l’entreprise influe l’acception du concept de RSE et sa portée”.

Adil Cherkaoui distingue trois perceptions différentes corrélées à la taille des entreprises. “Les dirigeants des très petites entreprises (TPE) étudiées considèrent que la responsabilité d’une entreprise est à caractère exclusivement économique consistant à créer du profit et à maintenir la continuité de l’affaire. Cette vision écarte les défis sociaux, sociétaux et environnementaux interpellant les entreprises et pouvant mettre fin à leur survie”, affirme-t-il.

Tandis que “pour les dirigeants des petites entreprises (PE), le respect de la législation du travail et celle de l’activité en général, est considéré comme une forme de responsabilité sociale bien que, théoriquement, la RSE commence au-delà du respect des obligations légales et contractuelles vers des normes de comportement”.

Pour ce qui est des Moyennes entreprises (ME), le chercheur considère que leurs dirigeants “perçoivent le mieux le contenu et la portée du concept de RSE étant donné qu’ils l’ont inscrit dans une perspective de développement durable par laquelle l’entreprise essaie de corriger ses externalités négatives induites par ses activités à l’égard de son environnement”.

L’enquête d’Adil Cherkaoui conclut donc que les dirigeants casablancais de PME interrogés négligent tout engagement sociétal ou environnemental(…) Pour la majorité d’entre eux, la conformité légale est elle-même une forme de responsabilité sociale

L’enquête d’Adil Cherkaoui conclut donc que les dirigeants casablancais de PME interrogés négligent tout engagement sociétal ou environnemental ainsi que toute prise en considération des attentes des autres parties prenantes de l’entreprise (au-delà des salariés). Pour la majorité d’entre eux, la conformité légale est elle-même une forme de responsabilité sociale.

La logique de la conformité légale est considérée comme une forme de responsabilité sociale. “Leur engagement à l’égard de la communauté se limite à quelques dons et subventions accordés occasionnellement à certaines ONG et associations de bienfaisance. De même, leurs pratiques environnementales se limitent, pour la quasi-totalité des PME étudiées, à quelques “éco-gestes” liés à la rationalisation de la consommation des électricités et du papier ainsi que l’informatisation des supports de travail”, assure-t-il.

Et de noter qu’aucune de ces PME n’est certifiée sur ses pratiques RSE. “Les raisons évoquées pour expliquer une telle situation sont essentiellement le manque d’intérêts de la part des dirigeants. Sans oublier le degré d’exigence de leurs marchés domestiques et partenaires sociaux locaux qui sont très peu regardants sur ces questions. Exception faite pour les dirigeants entretenant des relations avec l’étranger ou ceux dont ils sont contraints de part leurs donneurs d’ordres”, nuance enfin l’universitaire.

Le premier observatoire marocain de la RSE a été créé en 2017 au sein de l’ISCAE.Crédit: DR

Des atouts et des limites

Au-delà du constat décevant dressé par Adil Cherkaoui, le Maroc peut se targuer de posséder un cadre normatif relativement avancé comparé à son voisinage africain. Le Royaume est signataire de nombreuses conventions qui constituent le cadre de la RSE et fournissent des recommandations communes à l’ensemble des entreprises.

A titre d’exemple, nous retrouvons les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales, la Déclaration tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale, mais aussi les principes directeurs de l’ONU relatifs aux Droits de l’Homme et aux sociétés transnationales.

“En observant les pratiques et les discours des entreprises au Maroc, il nous semble qu’une RSE ‘marocaine’ est en train de se mettre en place”

Omar Benaicha, chercheur

Au niveau national, Rabat a intégré la notion de développement durable dans la Constitution de 2011 et s’est doté en 2017 d’une Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD). “En observant les pratiques et les discours des entreprises au Maroc, il nous semble qu’une RSE ‘marocaine’ est en train de se mettre en place”, souligne Omar Benaicha dans sa thèse de doctorat intitulée “La diffusion de la RSE dans les entreprises au Maroc : facteurs déterminants, rôles et interactions des acteurs”.

Dans son travail de recherche, Benaicha, qui occupe d’ailleurs le poste de vice-président de l’Observatoire de la RSE au Maroc (ORSEM) – créé en 2017 au sein de l’Institut supérieur de Commerce et d’Administration des Entreprises (ISCAE) – relève que “l’analyse de l’évolution du cadre institutionnel, d’une part, et la nature de la RSE observée, d’autre part, reflète une situation paradoxale au Maroc”.

Selon lui, “le poids de l’Etat et l’ensemble des réformes engagées font que ce cadre se rapproche du cadre européen” bien que les pratiques RSE soient plutôt explicites et produites par les interactions inter-organisationnelles et la discrétion managériale, “ce qui est plutôt proche de ce qui observé dans le cadre américain”.

“L’effort consenti par l’Etat pour réformer les cadres législatif et socio-économique semble ne pas avoir un effet sur la diffusion de la RSE. Ce qui nous fait dire […] que l’Etat met en place le cadre institutionnel de la RSE mais ne l’anime pas”

Omar Benaicha

Omar Benaicha estime qu’une politique RSE “plus décentralisée” au niveau de l’Etat et de la CGEM permettrait de changer la situation actuelle, dans laquelle 90% des entreprises labélisées RSE par le patronat se trouvent dans la région de Casablanca. Et d’ajouter : “L’effort consenti par l’Etat pour réformer les cadres législatif et socio-économique semble ne pas avoir un effet sur la diffusion de la RSE. Ce qui nous fait dire […] que l’Etat met en place le cadre institutionnel de la RSE mais ne l’anime pas. C’est pourquoi l’Etat doit revoir le fonctionnement et la gouvernance des dispositifs d’institutionnalisation de la RSE”.

Enfin, dans un pays comme le Maroc où la commande publique représente le moteur du secteur privé, l’Etat se doit d’agir activement dans la promotion des valeurs de la RSE dans le tissu entrepreneurial, qu’il s’agisse de grandes entreprises, de PME ou de TPE. L’administration peut user de leviers institutionnels pour obliger ses prestataires à adopter une politique RSE efficace et valorisante pour ces derniers.

L’arsenal législatif national (voir encadrés ci-dessous) s’est renforcé dans son volet social à travers la loi n°19-12 contre le travail domestique et le travail des enfants ainsi que le projet de loi pour l’Autorité de la parité et la lutte contre toutes formes de discriminations (APALD), prévue par la Constitution de 2011. Nous pouvons également citer la Charte Nationale de l’Environnement et du Développement Durable, élaborée en 2010 et adoptée par le Parlement en février 2014 et qui a donné naissance, en 2017, à la Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD).

Les entreprises cotées en bourse également concernées

L’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) a élaboré en 2017, avec le concours de la Bourse de Casablanca, de la CGEM et du CESE un guide sur la RSE et le reporting des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance, dit ESG. Justement, depuis 2019, les entreprises cotées en Bourse sont dans l’obligation de consacrer un chapitre de leur rapport annuel aux engagements ESG.

Le rapport ESG permet d’informer sur les différents dispositifs RSE mis en place ainsi que les moyens alloués pour les suivre et les contrôler. A travers ledit rapport, l’entreprise peut également démontrer, lorsque les données existent, la contribution des actions RSE à la performance économique et financière (exemples : réductions de coûts, gains de productivité, captation de nouveaux marchés ou fidélisation des clients, fidélisation des employés, meilleure maitrise des risques, meilleure réputation, meilleure image, etc.)”, explique l’AMMC dans son guide de 49 pages.

L’avis du CESE

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a formalisé un Référentiel de normes et d’objectifs pour impulser des contrats partenariaux au service d’une charte sociale marocaine tournée vers l’avenir. Ce document s’intéresse à l’accès aux services essentiels et bien-être social, à l’inclusion et la solidarité, à la protection de l’environnement, à la gouvernance responsable ainsi qu’aux problématiques de développement, de sécurité économique et de démocratie sociale.

Dans une auto-saisine datant de 2016, le CESE s’est penché sur la Responsabilité sociale des organisations (RSO), qui englobe, en plus des entreprises, toutes les organisations humaines (fondations, associations, collectivités, etc). Dans son auto-saisine, le CESE se félicite du “niveau de prise de conscience généralisé et constant par les différentes organisations, de la pertinence d’intégrer ce concept dans leur périmètre d’activité et leur politique de développement”.

Les meilleures avancées sont présentées par les entreprises privées productives ; ces avancées couvrent à la fois les volets de la planification stratégique, la gouvernance, le reporting – même s’il n’est pas toujours en conformité avec les normes internationales -, les outils dédiés à la gestion et la conduite, ainsi que l’importance de l’implication des parties prenantes.

Les organisations les plus impliquées, par la force des choses, sont celles dont le cœur de métier est lié aux ressources naturelles (agriculture, foncier, forêts, écosystèmes naturels, mines) ou gestionnaires de services de base.

Concernant le secteur financier privé, celui-ci a pour sa part entrepris des “actions encourageantes”, selon le CESE, car “le Maroc est le premier pays de la région où se met en place la finance responsable”. Cependant, le périmètre d’intervention de ces actions ne leur permet pas de jouer pleinement leur rôle dans la diffusion des bonnes pratiques relatives à la responsabilité sociétale sur la totalité de sa chaîne de valeur, note le Conseil.

Les 12 commandements de Bank Al-Maghrib

Bank Al-Maghrib (BAM) a publié en 2018 sa Charte de responsabilité sociétale pour appuyer les engagements pris par le Maroc dans le cadre de la COP22. Le document définit les cinq engagements de la banque centrale, dans les domaines de la Responsabilité sociétale ainsi que les 22 actions qui seront portées par ses différentes entités.

En 2021, BAM a affiné sa stratégie en matière de RSE en rendant public un “livret” synthétisant ses engagements sociétaux et environnementaux dans lequel 12 engagements ont été retenus (voir ci-dessous).

Mise en œuvre d’une gouvernance éthique et transparente permettant d’intégrer les principes de la responsabilité sociétale, développement et soutien de la recherche et de l’éducation économique et financière, développement du capital humain et préservation de la diversité et de l’égalité des chances, prise en compte du changement climatique et réduction de l’empreinte environnementale ou encore accompagnement des initiatives territoriales et nationales visant la création d’emplois, autant d’engagements qui matérialisent l’intérêt porté par la banque centrale à sa RSE.

Axes et engagements de la politique Bank Al-Maghrib

AXES DE LA POLITIQUE RSE

01 I Axe Légal & Ethique : Mettre en œuvre et promouvoir une gouvernance éthique et transparente, traduisant notre raison d’être et permettant une gestion agile et responsable au quotidien

02 I Axe Economique: Œuvrer pour le développement d’un système financier inclusif, innovant et durable et maximiser l’impact économique et social de nos missions

03 I Axe Social: Favoriser le développement des compétences, la diversité et l’inclusion et assurer la protection et le bien-être au travail de nos collaborateurs

04 I Axe Environnemental: Prendre en compte le changement climatique dans nos missions et réduire notre empreinte environnementale

05 I Axe Sociétal: Contribuer, dans le cadre de partenariats, au développement des territoires, au soutien de la culture et aux actions de solidarité

ENGAGEMENTS RSE

1. Mettre en œuvre une gouvernance éthique et transparente permettant d’intégrer les principes de la responsabilité sociétale dans nos activités au quotidien.

2. Assurer la conformité et gérer les risques tout en favorisant la transformation agile de la Banque.

3. Promouvoir une gouvernance éthique et transparente au niveau du secteur financier, permettant d’intégrer les principes de la responsabilité sociétale.

4. Favoriser l’inclusion financière et encourager le développement de l’écosystème des fintechs.

5. Développer et soutenir la recherche et l’éducation économique et financière des publics.

6. Accomplir nos missions de façon à optimiser notre impact économique et social, aux niveaux local et national.

7. Développer le Capital Humain et assurer la diversité et l’égalité des chances.

8. Garantir des conditions de travail saines et sécurisées et assurer la protection et le bien-être de nos collaborateurs.

9. Prendre en compte le changement climatique dans nos missions pour renforcer la maîtrise des risques et pour promouvoir la finance verte.

10. Réduire l’empreinte environnementale de nos activités.

11. Accompagner les initiatives territoriales et nationales visant la création d’emplois et d’activités génératrices de revenus et l’amélioration de l’accès aux services essentiels.

12. Préserver et promouvoir le patrimoine numismatique et soutenir les activités artistiques et culturelles.