Dès son allocution d’ouverture, Nadia Fettah Alaoui, ministre de l’Économie et des Finances, a mis en lumière l’ampleur des défis posés aux systèmes financiers publics, notamment face aux “crises successives du Covid-19, aux répercussions du conflit en Ukraine et au séisme d’Al Haouz”.
Ces événements ont révélé, selon la ministre, la “fragilité et les limites” de la structure actuelle des finances publiques, contraignant le Maroc à adopter des mesures d’urgence pour répondre aux besoins immédiats des citoyens et soutenir l’économie. Toutefois, la ministre a insisté sur la nécessité de dépasser les solutions ponctuelles et d’adopter une “vision stratégique”, en rappelant que les périodes de crise exigent une innovation “out of the box” pour repenser l’action publique.
Le Trésorier général du Royaume, Noureddine Bensouda, a également dressé un constat nuancé de la gouvernance actuelle. Les décisions en finances publiques, bien que techniques en apparence, “sont éminemment politiques, car elles portent sur le vivre ensemble, le pactum societatis (pacte social, ndlr)”. Pour Bensouda, il est indispensable que les choix financiers soient guidés par une vision de long terme, capable de concilier les impératifs partisans des gouvernements avec l’intérêt collectif et la durabilité des finances publiques.
Pour “un équilibre entre autonomie et unité d’action”
Michel Bouvier, président de FONDAFIP et directeur de la Revue française de finances publiques, a souligné la “déstructuration” progressive du modèle de gouvernance publique. Selon lui, les systèmes financiers publics, jadis bâtis sur les principes keynésiens d’intervention de l’État, sont aujourd’hui menacés par une prolifération d’entités autonomes et une diversité d’acteurs, qui rendent difficile une cohérence d’ensemble. “La multiplicité d’acteurs peut être une source d’efficacité, mais devient stérile lorsqu’il n’existe pas une unité d’action”, a-t-il prévenu, rappelant l’urgence d’une “coordination intersectorielle” pour éviter la dispersion des efforts.
Les intervenants ont aussi noté que cette fragmentation du modèle de gouvernance affecte les institutions publiques au Maroc comme en France. Les organismes semi-autonomes et les agences publiques se sont multipliés, souvent avec des logiques propres et parfois même conflictuelles, créant ainsi un risque de “cloisonnement” des politiques publiques et d’inefficacité des dépenses.
Les échanges se sont orientés vers des réformes concrètes. Bensouda a rappelé les efforts entrepris au Maroc pour moderniser le cadre budgétaire avec la loi organique des finances de 2015, qui a permis d’améliorer la programmation et l’exécution budgétaire. Cependant, il a souligné que les dépenses publiques, notamment les investissements et la masse salariale, continuent de peser lourdement sur le budget de l’État.
Le Trésorier général du Royaume a, de surcroît, souligné que les réformes fiscales entreprises au Maroc depuis 2004, comme l’intégration des services d’assiette et de recouvrement, avaient permis de mieux mobiliser les ressources fiscales tout en réduisant la complexité administrative. Cependant, il a aussi noté que le modèle actuel restait “inachevé” et nécessitait des ajustements pour répondre aux nouveaux défis économiques et sociaux.
Le colloque a mis en avant un besoin urgent de repenser la gouvernance des finances publiques de manière systémique. L’économiste Mariana Mazzucato, citée à plusieurs reprises lors du colloque, a souvent plaidé pour une “coordination hors des silos habituels” pour assurer une convergence des politiques publiques. Cette approche implique de créer des liens entre les différents niveaux de gouvernance — État, collectivités territoriales et organismes publics — afin de maximiser l’impact des ressources budgétaires et de garantir une allocation efficiente dans un contexte de forte contrainte budgétaire.
Ce qui ressort de ce colloque, comme en témoigne l’allocution de clôture de Michel Bouvier, est la nécessité de “fonder un nouveau modèle de gouvernance financière sur l’équilibre entre autonomie et unité d’action”. Les crises contemporaines exigent une reconfiguration de l’État pour répondre efficacement aux défis économiques, sociaux et climatiques qui redéfinissent les attentes des citoyens vis-à-vis de l’administration publique, conclut Bouvier.