A cette occasion, les dirigeants de ces trois pays ont signé la Charte du Liptako-Gourma, nommée ainsi en référence à la région du Liptako-Gourma à cheval entre les trois pays et qui est au cœur des préoccupations sécuritaires du Sahel central. À travers l’AES, les pays membres s’engagent à établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle et à lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée.
L’AES est mise en place pour aider à contrer d’éventuelles menaces de rébellion armée ou d’agression extérieure, selon les États membres soulignant que toute attaque contre la souveraineté et l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties.
Le Sahel est confronté à une insurrection djihadiste depuis le début des années 2000. Cette situation est à l’origine de nombreux conflits dans la région, tels que la guerre du Mali et l’insurrection au Burkina Faso. Les trois États membres de l’AES ont connu des coups d’État militaires ces dernières années, provoquant une détérioration des relations avec le reste de la Cedeao et la communauté internationale.
De plus, ils ont la particularité d’être tous dirigés par des juntes militaires et d’avoir accueilli des troupes de l’ancienne puissance coloniale française sur leur sol.
La création de l’AES survient au moment où la Cedeao menace d’intervenir militairement au Niger pour favoriser le retour de l’ordre constitutionnel à la suite du coup d’État mené par le général Abdourahmane Tchiani. Cette initiative, qui semble être bien accueillie par l’opinion publique des pays membres, suscite cependant un certain nombre d’interrogations.
Nos recherches portent sur les questions de sécurité au Sahel. Dans cet article, nous essayons d’analyser les raisons de la création de cette alliance, ses implications probables sur la coopération régionale ainsi que ses chances de succès.
Une volonté de solidarité régionale
Pendant plus d’une décennie, la lutte contre l’insécurité au Sahel était menée par la France qui a joué le rôle de “nation-cadre”, notamment dans la coordination entre les acteurs locaux et internationaux. Cela a changé après le retrait de Barkhane du Mali en 2022 et de l’opération Sabre du Burkina Faso en 2023.
L’AES traduit une volonté et un effort de solidarité régionale qui tentent de rompre avec la manière dont le terrorisme et le crime organisé ont été combattus. Par exemple, l’inefficacité perçue de la Force conjointe du G5 Sahel (FCG5) et de l’opération française Barkhane a contribué au fait que le Mali ait décidé de chercher d’autres partenaires comme la Russie.
La recrudescence de l’insécurité au Sahel montre, cependant, qu’en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la volonté et la solidarité ne suffisent pas. Le Liptako-Gourma, une région vaste de 370.000 km2 abritant 45 % de la population totale des trois États, vit une grave crise sécuritaire du fait de la présence de groupes armés qui profitent du retrait de l’opération française Barkhane.
En février 2023, le nombre de décès liés à la violence politique avait augmenté de 77 % au Burkina Faso et de 150 % au Mali par rapport à 2021. Le Burkina Faso est désormais le pays qui compte le plus grand nombre de victimes d’actes de terrorisme au monde, devant l’Afghanistan.
Contraintes à la coopération
La création de l’AES pour renforcer la solidarité dans la lutte contre l’insécurité intervient à un moment où la coopération régionale et internationale au Sahel manque de fluidité. La FCG5, qui avait suscité beaucoup d’espoirs au moment de son lancement en 2017, négocie sa survie depuis le retrait du Mali en 2022. La coopération avec les partenaires européens a été freinée par une succession d’événements et de décisions, dont la dénonciation par le Mali, le Burkina Faso et le Niger de plusieurs accords de défense avec Paris et le retrait des troupes françaises.
Si certains partenaires tels que les États-Unis maintiennent une présence au Sahel, ces nombreux changements constituent autant de contraintes à la dynamique de coopération en construction dans la région depuis presque vingt ans.
La Cedeao n’a pas encore engagé de ressources dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. En revanche, l’organisation a été très active dans les processus de résolution des crises politiques liées aux coups d’État en Afrique de l’Ouest, sans pour autant avoir réussi à inciter des transitions vers le pouvoir civil.
En revanche, les menaces de la Cedeao d’intervenir militairement au Niger ont joué un rôle dans la création de l’AES dont les membres se sont engagés à se porter assistance mutuellement en cas d’agression.
Quelle sera la relation entre l’AES et la Cedeao ? Il est encore trop tôt pour le dire. Il en est de même des relations entre l’AES et d’autres initiatives comme la Force conjointe du G5 Sahel et l’Initiative d’Accra. Pour le moment, les pays de l’AES sont dans une logique d’opposition à la Cedeao.
Déficit de moyens aériens
L’AES semble être le prolongement d’un effort d’autonomisation de la lutte contre le terrorisme de la part des trois pays. La recrudescence de l’insécurité au Sahel montre, cependant, qu’en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la volonté d’être autonome ne suffit pas.
Les pays de l’AES s’engagent à financer l’initiative par leurs propres contributions. En raison de leurs capacités limitées, il y a toutefois peu de chance qu’ils parviennent à assurer par eux-mêmes l’effort de guerre contre le terrorisme qui nécessite beaucoup de ressources financières.
Les forces armées du Mali, du Niger et du Burkina Faso présentent aussi de grandes faiblesses capacitaires, au premier rang desquels un déficit de moyens aériens. Les états-majors des armées avec qui nous avons échangé lors de nos entretiens au Sahel demeurent convaincus que leurs forces de défense et de sécurité pourraient combattre efficacement le terrorisme si elles disposaient de capacités aériennes significatives.
À travers l’AES, les pays membres misent sur l’approche militaire. Il faut toutefois noter que la performance dans la lutte contre les menaces sécuritaires ne dépend pas uniquement des moyens militaires. L’expérience au Sahel a montré que cette approche purement sécuritaire a tendance à favoriser l’escalade et les violences contre les civils. Certes, à travers l’Alliance Sahel, l’Union européenne et d’autres partenaires ont, parallèlement à l’intervention militaire, financé des projets de développement, mais sans impact majeur.
En tant que système de défense et d’assistance mutuelle, la Charte du Liptako-Gourma n’aborde pas le développement économique et social qui est pourtant indispensable dans la lutte contre l’insécurité. L’AES reste pour le moment un signal géopolitique rattaché à une structure sécuritaire encore embryonnaire.