Alcool, jeux d’argent, sucre... Ce qu’il faut retenir de l’avis du CESE face aux conduites addictives au Maroc

Lors d’une rencontre la semaine dernière pour présenter les principales conclusions et recommandations de l’avis concernant l’addiction, le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) Ahmed Reda Chami a insisté sur les raisons pour lesquelles les différentes formes d’addiction devraient être reconnues comme des maladies nécessitant une prise en charge appropriée.

Par

Commencer l’apéro à midi ou accentuer la fréquence de consommation de cannabis ou de cocaïne sont des habitudes que certains ont gardées, à leurs dépens, après la fin du confinement. Crédit: CLAUDIO CRUZ / AFP

Malgré l’existence d’une stratégie nationale de lutte contre les addictions portant sur la période 2018-2022 élaborée par le ministère de la Santé, les conduites addictives ne sont pas suffisamment reconnues et prises en charge par les organismes de protection sociale ni traitées comme des maladies alors qu’elles sont définies comme telles par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Conférence de Ahmed Reda Chami afin de présenter l’avis du CESE concernant les conduites addictives, le 20 avril 2022.Crédit: Rachid Tniouni / TelQuel

Dans son avis présenté le 20 avril, nommé “Faire face aux conduites addictives : état des lieux et recommandations”, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pointe ainsi du doigt les différentes formes d’addictions, mettant en évidence leur côté pathologique. Alcool, cannabis, tabac, jeux d’argent ou encore consommation excessive de sucre, voici ce qu’il faut retenir de l’avis du CESE.

à lire aussi

Alcool

Selon l’OMS, l’usage abusif d’alcool est la cause de 5,9 % des décès dans le monde, soit près de 3,3 millions de décès par an. Au Maroc, il s’agirait de la troisième substance psychoactive la plus consommée après le tabac et le cannabis. 350.000 personnes, soit 1,4 % de la population marocaine âgée de plus de 15 ans, souffrent de dépendance à l’alcool (alcoolisme).

Cannabis

Considéré comme un des principaux producteurs mondiaux de cannabis, le Maroc fait face à un manque de chiffre concernant sa circulation et sa consommation. En effet, afin de déterminer le nombre de consommateurs, l’avis du CESE cite l’Observatoire marocain des drogues et des addictions, dont le dernier rapport publié en 2014 estimait le nombre d’usagers de cannabis à 800.000 personnes, un chiffre “très largement dépassé aujourd’hui”.

Le nombre de consommateurs de cannabis serait largement sous-estimé au Maroc.Crédit: AFP

Tabac

Provoquant une double dépendance, d’une part à des substances inhérentes ou ajoutées au tabac par les fabricants de cigarettes et, d’autre part, à des gestuelles ritualisées et des comportements répétitifs du quotidien, le tabac fait partie des addictions majeures à traiter.

De toutes les addictions, c’est celle qui touche le plus les adolescents, avec 7,9 % des 13 à 17 ans qui fument, dont 63 % ayant commencé avant 14 ans. Il s’agit du produit psychoactif le plus consommé au Maroc, avec 6 millions de personnes qui fument, dont 5,4 millions d’adultes et un demi-million de mineurs.

Il faut noter que les cigarettes importées de Suisse, dont le Maroc est le deuxième destinataire après le Japon avec 2900 tonnes annuelles, ne se conforment pas à la norme imposée dans plusieurs pays dite des “10-1-10” (concernant les teneurs respectives en goudron, nicotine et monoxyde de carbone).

En 2012, le gouvernement avait annoncé un décret pour aligner les normes nationales sur les normes européennes et réguler la teneur du tabac en goudron, en monoxyde de carbone et en nicotine (10-1-10), mais ce texte qui vient d’être récemment adopté par le Conseil du gouvernement le 6 septembre 2021 ne sera appliqué qu’à partir du 1er janvier 2024.

Jeux d’argent

Reconnue depuis 2013 par l’Association américaine de psychiatrie, la dépendance aux jeux et paris d’argent a été reconnue par l’OMS comme trouble mental en 2019. N’ayant jamais fait l’objet d’une étude nationale à visée informationnelle ou préventive, les estimations concernant ce secteur existent grâce aux enquêtes menées par les opérateurs de jeu.

Ainsi, l’avis du CESE indique que les données publiées par la Loterie nationale en 2020 font apparaître un nombre de transactions quotidiennes de 224.166 paris, pour une mise moyenne de 10 dirhams (9,34 dirhams). Chaque joueur jouerait 2,1 fois par mois, soit une population de joueurs de l’ordre de 3,3 millions de personnes correspondant à presque 12,7 % de la population âgée de plus de 15 ans. Un Marocain sur dix (10,6 %) âgé de plus de 15 ans serait donc parieur auprès de la MDJS pour un total estimé à environ 2,8 millions de joueurs.

Consommation excessive de sucre

Thés, jus, sodas, chebakia, gâteaux… la consommation abusive de sucre pourrait-elle être assimilée aux conduites addictives ?

D’un volume annuel estimé à 1,2 million de tonnes, la consommation de sucre au Maroc est une des plus élevées au monde avec 35 kg par habitant et par an. Une consommation modérée de sucre correspond à 6 à 8 cuillères à café de sucre par jour (soit 30 à 40 grammes) selon l’American Heart Association, et de 6 à 12 cuillères à café par jour selon l’OMS (30 à 60 grammes par jour). Les Marocains en consomment en moyenne près de 100 grammes par jour, soit plus de deux fois les quantités moyennes recommandées.

Recommandations

Le CESE a par la suite présenté différentes recommandations, plaidant pour la reconnaissance des addictions comme maladies éligibles à des soins remboursables, la réservation d’une part pérenne (10 %) des recettes de l’État tirées des biens et services licites issus des activités à potentiel addictif (tabacs, alcools, paris hippiques, loterie, paris sportifs) pour le soin, la recherche et la prévention.

À noter que ces biens et services génèrent un chiffre d’affaires de plus de 32 milliards de dirhams, soit près de 9 % des recettes fiscales et 3 % du PIB. Une somme dont les 10 % recommandés par le CESE représentent 3,2 milliards de dirhams et qui pourraient contribuer à une forte réduction des conduites addictives des Marocains.