Francis Dupuis-Déri : “Le patriarcat est un système où les hommes se persuadent que leur nature biologique les empêche de faire la vaisselle”

Le concept de “crise de la masculinité” fait son chemin, au Maroc comme ailleurs. Son postulat ? L’identité masculine serait menacée par les revendications féministes pour l’égalité des sexes. Dans le cadre d’une série d’articles et interviews de spécialistes pour analyser ce phénomène, TelQuel s’est entretenu avec Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’Université du Québec au Canada et auteur de “La crise de la masculinité”, qui revient sur ce “mythe tenace”.

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Francis Dupuis-Déri. Crédit: Lux éditions

TelQuel : Le discours masculiniste revient en force, incarné notamment par des figures comme Jordan Peterson et Andrew Tate, qui prônent des qualités masculines traditionnelles comme la force, le courage, le fait de subvenir aux besoins du foyer, mais aussi la violence. Ne pouvons-nous pas créer d’autres types de masculinités qui soient émancipatrices pour les hommes comme pour les femmes ?

La crise de la masculinité : autopsie d’un mythe tenace est paru aux Éditions du remue-ménage, collection “Observatoire de l’antiféminisme”, en 2018.

Francis Dupuis-Déri : En effet, les misogynes et les “masculinistes”, soit ces antiféministes qui prétendent que les hommes vont mal et sont en désarroi parce que les femmes et les féministes prennent trop de place dans nos sociétés, ont une vision vraiment très stéréotypée de la masculinité et de la féminité.

Aux hommes, disent-ils, la raison, l’autonomie, l’action, la création, et même la compétitivité, l’agressivité, le courage, la domination ; aux femmes l’émotion, la dépendance, la passivité, le relationnel et la bienveillance, la peur et la soumission. Or, ces identités de genre sont en fait des constructions idéologiques, qui placent les hommes au-dessus et les femmes en dessous.

D’ailleurs, ce sont les mêmes caractéristiques que les scientifiques racistes et colonialistes de Paris ou de Londres au XIXe siècle ont associées aux nations européennes (raison, action, création, etc.) et aux peuples colonisés (émotion, dépendance, passivité, etc.).

En réalité, évidemment, les hommes et les femmes sont des êtres humains très semblables en termes de capacités morales, intellectuelles et même physiques : nous avons deux bras, deux jambes, deux yeux, etc., et pouvons effectuer les tâches essentielles à notre vie quotidienne.

Mieux encore, un individu est plus complet et plus adapté à la vie et à ses défis s’il a toutes ces caractéristiques, qu’il peut mobiliser parfois dans la même journée, selon le besoin : un homme peut être actif le matin, rationnel l’après-midi, émotionnel le soir et passif en toute fin de journée. C’est le même homme. Et des femmes — et des mères — peuvent évidemment être rationnelles, autonomes, compétitives, courageuses.

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