Les mandats d'arrêt de la CPI et la démocratie à blondeur variable

Par Réda Allali

Depuis que la Cour pénale internationale a émis ses fameux mandats d’arrêt, le Boualem est débordé. Le bougre suit tous les débats qui agitent l’Empire sur cette question embêtante, et ils sont nombreux tbarkallah.

Deux nobles représentants du paradis fasciste étant visés par des mandats d’arrêt internationaux, les plus brillants penseurs de l’Empire se sont déployés sur les plateaux télé pour expliquer qu’il s’agissait d’une infamie

Réda Allali

Si jamais vous viviez dans une grotte et que vous aviez besoin d’une mise à jour, sachez qu’il s’est produit une sorte de coup de théâtre : deux des plus nobles représentants du paradis fasciste ont été visés par des mandats d’arrêt internationaux, un peu comme de vils dictateurs barbares. Bien entendu, les plus brillants penseurs télévisuels de l’Empire se sont alors déployés sur tous les plateaux télé pour expliquer qu’il s’agissait d’une infamie.

Le Boualem a donc noté les arguments qu’ils avancent pour justifier cette position audacieuse. Passons rapidement sur les inepties du genre “le tribunal est gangréné par l’antisémitisme ou l’islamisme”, ça ne vaut pas la peine de s’attarder sur ce type de bêtises. Passons aussi sur les arguments qui relèvent de la comparesthésie la plus stérile (rappelons qu’il s’agit là d’une attitude consistant à justifier une horreur dans une zone alpha en allant chercher un problème comparable, voire pire, dans une zone béta).

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Oublions tous ces arguments idiots pour se concentrer sur la plus remarquable assertion des défenseurs de l’armée la plus morale du monde. Respirez un bon coup, l’oxygène va manquer dans une petite ligne à peine. Selon eux, il ne faut pas embêter ces dirigeants car NOUS AVONS AFFAIRE À UNE DÉMOCRATIE. Voilà ce qu’ils martèlent, et ils sont rarement contredits.

“Apparemment, si vous êtes démocratiquement élu, vous pouvez bombarder qui vous voulez. C’est une position singulière, que l’Empire applique avec la plus grande rigueur depuis des décennies”

Réda Allali

Il faut décortiquer cette affaire, c’est très important. Ça signifie que si vous êtes démocratiquement élu – car c’est apparemment la seule condition pour avoir le label démocratique –, vous pouvez bombarder qui vous voulez. C’est une position singulière, et l’Empire, d’ailleurs, l’applique avec la plus grande rigueur depuis des décennies. En réalité, dans leur bouche, être démocrate ne correspond pas à une série de pratiques ou à un comportement : c’est un statut, presque une nature. Quand ils s’indignent en geignant “mais c’est une démocratie, on ne peut pas la traiter comme ça !”, ils pensent : “Mais ce sont des blonds, il faut les respecter!” Tel est le fond de leur pensée.

Ces gens sont blonds, donc intouchables, et la loi ne s’applique pas à eux, car ce sont eux qui l’ont écrite, vous comprenez maintenant ? Ils sont les maîtres du monde, ils possèdent une supériorité morale intrinsèque, et celle-ci n’a pas à être démontrée ou confirmée, car elle est consubstantielle à leur nature. Tout l’arsenal juridique n’est là que pour justifier les caprices démocratiques des démocraties, qui peuvent démocratiquement faire ce qu’elles veulent.

Ces démocraties qui, en 1885, se sont réunies à Berlin pour organiser le dépeçage de l’Afrique, en vertu de cette supériorité morale innée. Ils l’ont fait avec beaucoup d’articles de loi s’il vous plaît, sans se rendre compte, malgré leur cortex surpuissant, qu’ils venaient de légaliser un pillage. Imaginez un peu que quelque barbare du Congo un peu perché poursuive le roi des Belges pour atteinte à sa propriété, vers 1910. Eh bien, vous auriez exactement les mêmes réactions que celles dont il est question ici. Voilà au moins un des avantages du conflit actuel : il a permis de faire tomber les masques. La mauvaise nouvelle, par contre, c’est que rien n’a changé depuis 1885, au moins, et merci.

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