Tbourida : cavalcade en l’honneur de l’histoire et des traditions du Maroc

Depuis 2021, la tbourida est inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Cette reconnaissance témoigne de l’importance historique et culturelle de cette pratique équestre multiséculaire, qui ne cesse de galvaniser les foules lors de festivals et de célébrations. Retour sur cet aspect de l’art équestre, ses origines, ainsi que ses variantes régionales.

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YASSINE TOUMI/TELQUEL

La 15e édition du Salon du Cheval d’El Jadida s’apprête à déployer ses fastes du 1er au 6 octobre, offrant aux passionnés et aux professionnels une plongée majestueuse dans l’univers équestre marocain. Au cœur de cet événement prestigieux, la tbourida, véritable emblème de la tradition cavalière, se taille une place de choix.

Avec un programme riche en chevauchées fulgurantes et en salves éclatantes de baroud, cette édition promet de réenchanter les férus de cet art ancestral, où l’harmonie entre le m’qaddem et sa sorba s’exprime dans une chorégraphie rythmée par les sabots et le fracas des coups de feu.

Une reconnaissance mondiale

La tbourida n’est pas qu’un simple spectacle de bravoure. Elle incarne un vecteur d’identité culturelle, un héritage partagé depuis des siècles par les tribus arabes et amazighes du Maroc. Cette tradition a reçu une reconnaissance mondiale en décembre 2021, lorsque l’UNESCO l’a inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité, soulignant l’importance de la “transmission de cet art aux générations futures”.

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Ce rituel équestre, autrefois démonstration martiale des guerriers simulant des attaques en formation, a évolué au fil des siècles pour devenir une performance où se mêlent audace, précision et esthétique équestre.

Cette reconnaissance est un hommage au lien profond qui unit le Maroc à son passé glorieux, tout en réaffirmant son engagement à préserver ses traditions et en s’adaptant aux enjeux contemporains. C’est d’ailleurs dans cet esprit d’adaptation que l’Association du Salon du Cheval d’El Jadida a choisi, pour cette 15e édition, le thème “L’élevage équin au Maroc : innovation et défi”.

“Le monde évolue et cède à la pression de la technologie, qui s’impose notamment dans le domaine de l’élevage, en termes notamment d’amélioration générale”, explique de prime abord El Habib Merzak, commissaire du Salon.

Il affirme la “volonté de l’Association d’initier un débat et des rencontres autour de l’innovation dans l’élevage équestre marocain à même de valoriser les races locales, en particulier le cheval barbe, tout en respectant les traditions équestres marocaines”.

Différentes manières de monter l’histoire

Cela dit, l’art de la tbourida au Maroc, cet acte de faire parler la poudre, puise toute sa splendeur dans les riches traditions équestres de toutes les régions du royaume. Chacune apporte sa propre signature, qu’il s’agisse des tenues élégantes des cavaliers, des ornements somptueux des chevaux, de l’organisation singulière des khiala, autre nom de la sorba, ou de la façon de tirer en l’air (talqa).

Ces particularités régionales enrichissent la diversité et la beauté de cet art ancestral, faisant de chaque performance un hommage unique à l’héritage culturel de chaque région.

La couleur des drapés qui couvrent les cavaliers, leurs turbans, leurs chemises à col rigide, ainsi que leurs pantalons, varient considérablement selon les régions. Dans la majorité des zones, c’est le blanc qui domine, une teinte qui symbolise le deuil en islam.

Dans son livre Des chevaux et des hommes : l’art de la tbourida au Maroc, Fouad Laroui explique la symbolique de cette couleur : “Il s’agissait autrefois de combattre enveloppé dans son linceul, ce qui facilitait la mise en terre de ceux qui étaient tombés pendant la bataille”.

Par ailleurs, les troupes sarhaouies portent du bleu, tandis que dans d’autres régions, des couleurs vives comme le rouge ou le vert sont privilégiées, rappelant l’héritage tribal et les couleurs des différentes confréries. Ces tenues sont souvent agrémentées de ceintures richement décorées et de turbans finement noués, représentant à la fois l’élégance et la dignité.

Fouad Laroui explique la symbolique des tenues blanches des cavaliers : “Il s’agissait autrefois de combattre enveloppé dans son linceul, ce qui facilitait la mise en terre de ceux qui étaient tombés pendant la bataille”Crédit: YASSINE TOUMI/TELQUEL

Mais c’est la talqa qui marque le plus l’empreinte régionale de la sorba. Fouad Laroui évoque ces codifications de la talqa, qui correspondent à des régions différentes et à des conditions de bataille historiquement différentes. D’après l’écrivain, quatre tariqas (voies, façon de faire) coexistent et se rapportent chacune à une région du Maroc.

La tariqa sahraouiya, sur jument, consiste à tirer vers le bas parce que “l’ennemi est dans le fossé qu’il a creusé pour se dissimuler, en l’absence de végétation dans le désert”

La tariqa nassiriyya, sur cheval mâle, consiste à tirer vers l’avant, parce que “l’ennemi est censé être en face, en rase campagne”. C’est le cas des régions de plaine : Doukkala, Abda, Chaouïa et H’mer (Youssoufia). La tariqa sahraouiya, sur jument, consiste à tirer vers le bas parce que “l’ennemi est dans le fossé qu’il a creusé pour se dissimuler, en l’absence de végétation dans le désert”.

Parfois, on tire en l’air, en signe de célébration : ce sont les tariqa khyatiyya et cherkaouiya, toutes deux sur un cheval mâle, avec dans le dernier cas une variante dite kettafiya : le fusil est calé sur l’épaule (ktef).

Quand le cheval devient une œuvre d’art

Le cheval barbe, véritable pilier de la tbourida, n’est pas seulement un symbole de puissance et de bravoure, mais aussi une véritable œuvre d’art vivante. Sa silhouette robuste, marquée par un cou arqué, une croupe imposante et des cuisses musclées, est magnifiée par un harnachement richement orné qui ravit tant les cavaliers que les spectateurs.

La selle qui, d’après Fouad Laroui, figure un tombeau en signe d’acceptation du destin, est fabriquée à la main par des maîtres selliers qui perpétuent cet art ancestral de génération en génération, elle est composée d’une cinquantaine de pièces assemblées avec minutie. L’arçon, taillé dans du bois d’olivier ou de cèdre, est recouvert de peau de chèvre ou de mouton.

Le pommeau et le troussequin, éléments emblématiques, sont ensuite habillés d’une chemise en cuir finement brodée d’or et d’argent, un véritable chef-d’œuvre de l’artisanat marocain.

Le harnachement du cheval, composé de la parure, du tapis, de l’arçon, de la bride, des étriers et de la cravate, nécessite un savoir-faire unique. Chacune de ces pièces est ornée de motifs artistiques qui témoignent de la richesse du patrimoine marocain. Chaque détail reflète cette quête perpétuelle de beauté et l’intime relation entre le cavalier et sa monture, où l’esthétique devient indissociable de la performance équestre.

Le cheval barbe, véritable pilier de la tbourida, n’est pas seulement un symbole de puissance et de bravoure, mais aussi une véritable œuvre d’art vivante.Crédit: YASSINE TOUMI/TELQUEL

La préparation des chevaux avant chaque tbourida est un rituel en soi. Ils sont lavés avec soin, leurs robes lustrées et leurs crinières méticuleusement peignées. Cette attention portée à chaque détail rehausse non seulement la prestance des montures, mais renforce aussi la grandeur et la majesté des cavaliers, créant ainsi une symbiose parfaite entre l’homme, le cheval et la tradition.

Une incarnation de l’unité et de la discipline

Au-delà de la beauté majestueuse des chevaux, c’est l’organisation méticuleuse des sorbas, véritable incarnation de l’unité et de la discipline, qui fascine les spectateurs lors de chaque spectacle de tbourida. L’alignement impeccable des cavaliers, le départ fulgurant au galop, et surtout la redoutable talqa, sont les moments clés du spectacle.

À la tête de cette chorégraphie guerrière, le m’qaddem joue un rôle central, orchestrant chaque étape du rituel, du début à la fin. Comme le souligne Fouad Laroui, “la gestion des rekkab (cavaliers), l’apprentissage rigoureux, et les ordres brefs scandant la cérémonie, tout cela est sous la responsabilité du m’qaddem”.

Avant même de fouler le mehrek (la piste où se déroule la démonstration), le m’qaddem veille à la préparation de sa sorba. Cette préparation commence par l’habillage minutieux des cavaliers et des chevaux, suivie des préparatifs spirituels : purification rituelle et récitation de versets coraniques pour bénir la troupe. Chaque cavalier est équipé d’une boîte à coran et porte un sabre au dos, symboles de protection et de bravoure.

Si, dans les plaines de Tadla, l’accent est mis sur la synchronisation parfaite des cavaliers, tandis que dans l’Oriental et les régions sahraouies, la rapidité et la fougue sont privilégiées

Une fois dans l’arène, la sorba se déploie en deux phases distinctes. La première est la hadda, le salut cérémonial de la troupe, où les cavaliers entrent en piste au trot et exécutent un maniement acrobatique des armes avant de se repositionner.

La seconde, tant attendue, est la talqa, moment de bravoure où la troupe s’élance au galop pour un tir coordonné à blanc, symbolisant une charge collective vers le combat. Chaque région du Maroc apporte une touche particulière à cet art ancestral, reflétant les diversités historiques et culturelles. Par exemple, dans les plaines de Tadla, l’accent est mis sur la synchronisation parfaite des cavaliers, tandis que dans l’Oriental et les régions sahraouies, la rapidité et la fougue sont privilégiées. Cette variété de styles exprime la richesse des traditions locales, faisant de chaque sorba le miroir vivant des récits de gloire et de résistance qui ont marqué l’histoire des tribus marocaines.

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