L’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) est en péril. Elle souffre d’un déséquilibre financier structurel. Les dépenses du régime d’assurance sont supérieures à ses recettes et la tendance va en s’aggravant. Les origines de ce déséquilibre sont multiples. Mais, par-dessus tout, la situation actuelle témoigne d’un déficit de gouvernance et d’une absence de leadership opérationnel fort, capable d’aligner les différents intervenants sur les mêmes objectifs, quitte à casser certaines rentes et bousculer des intérêts bien établis.
“ Depuis deux décennies, rapports, études et benchmarks se sont succédé pour aboutir à la même conclusion : les médicaments vendus au Maroc sont chers”
Le cas des médicaments est emblématique de cette absence de gouvernance dont souffre l’assurance maladie. Depuis deux décennies, rapports, études et benchmarks se sont succédé pour aboutir à la même conclusion : les médicaments vendus au Maroc sont chers. Trop chers. Leurs prix peuvent baisser de 30 à 50% par simple décision gouvernementale. “Et même jusqu’à 80% pour les médicaments coûteux”, nous affirme un expert.
Pourtant, rien n’a pu convaincre le gouvernement d’agir. Selon un de nos interlocuteurs, “même s’ils ne représentent que 25 à 30% des dépenses de l’AMO, une réduction significative de leurs prix peut représenter plusieurs milliards de dirhams d’économie pour l’assurance maladie”. Les organismes gestionnaires ont produit des dizaines de benchmarks qui prouvent le scandale que représentent les prix de certains médicaments. Mais rien n’y fait. Le gouvernement reste inactif. La puissance de certains lobbys d’importateurs et de fabricants de médicaments ne peut justifier à elle seule cette situation.
“La CNOPS a, par exemple, pu identifier des cliniques privées dont les médecins avaient systématiquement recours à la pose (au prix fort) de stents actifs à des patients qui n’en avaient pas besoin”
Autre source de déficit, les prestations de soins dispensées par le secteur privé. Ces acteurs viennent compenser les défaillances du secteur public alors qu’ils sont censés compléter l’offre publique. Certes, les prestations et la gouvernance de certains opérateurs se sont beaucoup améliorées ces dernières années, mais nombreux sont ceux qui continuent de souffrir de défaillances multiples.
Le manque de transparence en est une. Le recours à des pratiques “peu orthodoxes mais surtout illégales” – pour reprendre l’expression utilisée par les acteurs du secteur – en est une autre. A titre d’exemple, la CNOPS a pu identifier des cliniques privées dont les médecins avaient systématiquement recours à la pose (au prix fort) de stents actifs (dispositif médical utilisé pour traiter les rétrécissements ou les obstructions des artères) à des patients qui n’en avaient pas besoin.
“Sans une intervention urgente du gouvernement, L’AMo risque d’aller droit dans le mur”
Face à une offre privée de plus en plus performante mais coûteuse, l’offre publique reste faible. Pourtant, l’existence d’un secteur public fort est un prérequis à la réussite de l’AMO. Sur le terrain, l’offre publique de soins reste mal répartie sur le territoire national. Elle souffre en plus d’un manque criant de médecins et d’infirmiers auquel se rajoutent des problèmes de gestion et de gouvernance. Pour certains acteurs du secteur, la politique de l’État dans le domaine de l’assurance maladie n’a pas été suffisamment réfléchie pour assurer sa pérennité, et notamment sur le volet de développement de l’offre publique.
L’AMO est aujourd’hui à une phase critique de son évolution. Sans une intervention urgente du gouvernement, cette composante essentielle de la Protection sociale universelle, voulue et soutenue par le roi, risque d’aller droit dans le mur. Gouvernance, régulation, contrôle… tout doit être revu pour assurer à ce chantier de règne la soutenabilité dans la durée. Et permettre à l’ensemble des Marocains d’accéder aux soins qu’on leur a promis et qu’ils méritent.