Comment on en est arrivés là

Par Fatym Layachi

C’est vraiment une semaine étrange. Tu rentres du long week-end de l’Aïd. Tu t’es sentie totalement en vacances. Là, tu as repris le boulot sans grande conviction et surtout sans aucune motivation. Il fait bien trop beau pour avoir une quelconque ambition, et pourtant, il est encore un peu trop tôt pour se permettre d’être déjà en vacances. Oui, tu dois bosser. Eh oui, tu vas devoir encore bosser quelques semaines avant de n’avoir comme unique préoccupation que l’entretien de ton bronzage.

Tu n’aimes pas le mois de juin, en fait. Tu le trouves complètement bâtard. Il est un peu comme le navet dans le couscous, à la fois discret et très présent, décevant quand on le prend pour une patate mais sans doute très utile à l’équilibre global de la chose. Enfin bref, on est en juin. Techniquement c’est l’été depuis quelques jours. Mais ce n’est pas vraiment l’été dans le sens auquel tu l’entends. Pour toi, l’été, c’est les vacances. Ce n’est pas qu’une saison. C’est un concept. Ce n’est donc pas l’été et tu es posée au bureau sans grande conviction, donc. Tu es littéralement posée. Tu ne fais même pas semblant de bosser.

Tu es posée devant ton écran d’ordi et tu te promènes allègrement sur les internets. Tu n’as même pas un petit tableau Excel ouvert, histoire de créer ne serait-ce que visuellement une petite ambiance de travail. Non, même pas. Tu as à peu près 17 fenêtres Safari ouvertes. Ça va de la collab’ absolument improbable entre l’influenceuse française Léna Situations et une marque de fajitas, aux images de Julian Assange qui quitte le Royaume-Uni, libre.

C’est dire si tes errances 2.0 sont pour le moins diverses et variées. Le tout, bien évidemment, en passant par un article absolument passionnant sur Wild Thang, un pékinois qui a été élu le chien le plus moche du monde aux États-Unis. Cet article t’a donc appris l’existence du concours du chien le plus moche du monde et tu n’as aucune idée de comment assimiler cette information. Mais tu te dis que ça raconte forcément quelque chose de notre époque. Et ce quelque chose n’est pas forcément glorieux.

Tu te demandes surtout comment on a pu en arriver là. À quel moment un gars s’est dit “j’ai une idée géniale, on va organiser un concours de chiens moches” et des types lui ont dit “mais oui, c’est super !” ? Comment en est-on arrivés là ? Ça restera un des mystères de ta matinée. Mais comme tu n’es pas non plus très encline à résoudre des mystères, tu continues d’errer sur les internets. Tu te retrouves à regarder tout plein de vidéos de concerts enflammés à Mawazine en swipant sur tes stories Instagram. Donc non, clairement tu ne bosses pas. Tu fais passer le temps et tu le fais passer face à un écran.

“La construction d’un café sur un rond-point provoque un tollé à Sidi Allal El Bahraoui. Un café ! Sur un rond-point ! Tu n’oses imaginer les magouilles et les enveloppes de cash qui ont dû circuler”

Fatym Layachi

Et puis, tout d’un coup, tu lis une phrase dans un site de news qui te laisse sans voix : la construction d’un café sur un rond-point provoque un tollé à Sidi Allal El Bahraoui. Un café ! Sur un rond-point ! Tu ne veux même pas penser aux multiples infractions pour le moins flagrantes à toutes les règles de l’urbanisme, tu n’oses imaginer les magouilles et les enveloppes de cash qui ont dû circuler.

Le seul truc qui t’interpelle, c’est : comment on en arrive là ? À quel moment un type se dit “eh tiens, si j’ouvrais un café sur un rond-point ?” Parce qu’en y réfléchissant deux secondes, au-delà du côté illégal du truc, c’est vraiment une idée à la con d’ouvrir un café sur un rond-point. On y accède comment ? On se gare où ? Il se fait livrer comment ? Là encore, tu te dis que ça raconte forcément quelque chose de notre époque. Et là encore, ce n’est pas forcément glorieux. Mais peut-être qu’il faut juste arrêter de se poser des questions et juste se dire que l’époque n’est pas glorieuse du tout et qu’on ne fait rien pour que ça s’arrange.