En politique tout peut changer d’un instant à l’autre. En annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale française, le président Emmanuel Macron croyait sans doute pouvoir créer les conditions d’un nouvel affrontement entre son parti, Renaissance, et le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et Jordan Bardella en vue des législatives, prévues le 30 juin et le 7 juillet. Mais en unissant leurs forces au sein du Nouveau Front populaire (NFP), dénommé ainsi en hommage à l’ancien président socialiste Léon Blum, les partis de gauche ont renversé l’échiquier politique. Les projections tablent désormais sur un affrontement RN-NFP début juillet.
Vues du Maroc, ces élections ont un intérêt stratégique. Plus de 1,5 million de nos concitoyens nationaux et binationaux vivent dans l’Hexagone, parmi lesquels près de 50.000 étudiants. La France – avant le refroidissement des relations entre Rabat et Paris – délivrait près de 270.000 visas par an aux citoyens marocains.
Les liens sont aussi économiques puisque la France était, en 2023, le deuxième partenaire commercial du Maroc, dans une année justement marquée par les tensions. Les grands groupes français figurent parmi les plus grands employeurs du pays. Et, bien sûr, il y a ces liens politiques qui relèvent presque de l’évidence.
La France est un acteur majeur de l’UE, et donc de l’ensemble du pourtour régional du Maroc, mais aussi une puissance internationale qui a son mot à dire sur le dossier du Sahara en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. à ce titre, la France a aussi son mot à dire sur la cause palestinienne que l’on sait chère aux Marocains. Et c’est en suivant cette grille d’intérêts stratégiques que l’on devrait évaluer l’intérêt que tirerait le Maroc de la victoire de l’un des deux camps lors du prochain scrutin.
“Le RN n’a jamais affiché son intention d’évoluer vers une reconnaissance de la marocanité du Sahara”
Pour certains analystes, le Maroc aurait tout à gagner avec une victoire du RN aux élections. Souverainiste, le parti de Marine Le Pen a défendu à de multiples reprises le Maroc au parlement européen. Ce soutien s’est manifesté à travers des députés comme Thierry Mariani, mais aussi à travers la communication du parti qui avait dénoncé, par exemple, la suspension des accords agricoles entre le Maroc et l’UE suite à une plainte déposée par le Polisario. Mais au-delà de la scène européenne, le RN n’a jamais affiché son intention d’évoluer vers une reconnaissance de la marocanité du Sahara une fois arrivé au pouvoir. Une promesse pourtant déjà faite par leur (désormais) allié, Eric Ciotti, et que le gouvernement français sortant laissait entrevoir avant la dissolution de l’Assemblée.
Sur le plan économique, les affaires devraient suivre leur cours sans grand changement. Et c’est là que s’arrête la pertinence d’une victoire du RN pour le Maroc. Car on parle d’un parti qui assimile nos concitoyens à des “nuisibles” qu’il tient pour seuls responsables de tous les maux de la France.
“Sur la question palestinienne, le RN est un soutien fidèle à la politique destructrice de Benjamin Netanyahu”
On parle aussi d’un parti qui risque de renforcer la politique de suspension des visas qui était tant décriée pendant la crise France-Maroc. “La montée d’un parti comme le RN au pouvoir et la pression qu’il exercera ne feront qu’intensifier et multiplier les tensions entre les deux pays. Si elle s’impose, l’extrême droite n’aura pas de marge de manœuvre suffisante. Elle devra adopter des politiques “chocs” qui vont viser essentiellement les nôtres”, nous confie un observateur. Sur la question palestinienne, le RN est un soutien fidèle à la politique destructrice de Benjamin Netanyahu.
Le Front de gauche a, lui, des allures de danger pour le Maroc. Mais à y regarder de plus près, il n’en est rien. Sur la cause du Sahara, certains de ses membres ont certes affiché des sympathies pour le Polisario. Mais si l’on se fie aux propos de Jean-Luc Mélenchon, chef de file de LFI et natif de Tanger, le parti pourrait bien convaincre les plus hostiles au Maroc de revoir leurs positions sur le sujet. Et ce, dans un contexte où, selon nos informations, le Maroc mène un véritable travail au corps à corps avec les élus de la gauche pour les sensibiliser davantage à la cause nationale.
Sur le plan économique, là aussi, les choses risquent de peu changer. Sur le plan politique, le NFP défend des politiques sociales qui ne peuvent qu’être favorables à nos concitoyens. Sur la question israélo-palestinienne, la nouvelle alliance de gauche devrait adopter des positions plus proches des Marocains, et ce malgré la présence, et le poids, de Raphaël Glucksman, connu pour son soutien inconditionnel à Israël.
En se basant sur cette grille de lecture, il apparaît que la pilule rouge – celle du Front de gauche – est plus facile à avaler que la pilule bleue, celle du RN. Mais ce que cet épisode politique nous apprend, c’est surtout que le Maroc doit continuer à diversifier ses partenaires à l’international, tout en se renforçant sur le plan interne pour se donner les moyens de faire face à tout renversement d’échiquier. Il en va de ses intérêts stratégiques.