Ça y est, c’est ce moment de l’année. On ne parle que de ça. Les gens autour de toi n’ont plus que ce sujet à la bouche. La moindre de tes interactions sociales tourne autour de ça en ce moment. L’Aïd arrive et le moins que l’on puisse dire, c’est que son arrivée est bruyante.
« Le cours du mouton qui a encore flambé, les offres pour acheter un réfrigérateur en quatre fois sans frais… Tu te rends bien compte que peu de choses résistent aux sirènes du capitalisme”
Les news en parlent tout le temps. Entre le cours du mouton qui a encore flambé, les offres pour acheter un réfrigérateur en quatre fois sans frais et l’ONCF qui a augmenté son nombre de trains, tu te rends bien compte que peu de choses résistent aux sirènes du capitalisme. Sûrement pas la religiosité en tout cas. Après tout, il n’y a aucune raison que les fêtes échappent à la loi du marché. Au contraire, quand on fête, on ne compte pas, et quand en plus c’est pour l’amour de Dieu, on compte encore moins. Les vendeurs auraient tort de s’en priver.
Du coup, comme tous les ans, les prix explosent. Comme tous les ans, tout le monde s’en offusque. Et ce sera pareil l’année prochaine. Même à ta toute petite échelle, c’est comme ça tous les ans. Ta tante est en panique. Elle ne sait pas encore comment elle va s’organiser. Tous les ans, c’est le même cirque avec elle. Elle passe deux semaines à paniquer et à envoyer dix-sept messages WhatsApp sur le groupe de la famille pour dire qu’elle ne sait pas encore comment elle va s’organiser.
Zee aussi est en panique. Elle hésite. Elle ne sait pas si elle se joint à cette petite virée entre copines dans le sud du Portugal, où si elle va à ce week-end yoga et méditation à la campagne. Et puis, elle se dit qu’elle ferait peut-être mieux de ne rien faire, de juste rejoindre ses parents à la plage pour le jour de l’Aïd. Elle se dit que ce serait peut-être plus sage. Il y a l’été qui arrive. L’été et son lot de dépenses, parce qu’elle va partir plus d’un mois. Parce que oui, ici, autour de toi, il est normal de partir plus d’un mois en vacances en été. Parce que c’est l’été justement. Mais pour l’instant c’est l’Aïd. Et tu commences à voir des moutons partout.
“Tu n’es pas sûre qu’il y ait un lien entre la quantité de boulfaf ingérée et le niveau de piété”
D’ailleurs, tu te demandes comment un mouton tient sur une mobylette. Le plus beau pays du monde défie la logique et la gravité. C’est un peu prodigieux. Tes voisins ont mis trois moutons dans la cour de l’immeuble. Trois moutons dans une cour d’immeuble. Il faut le voir pour le croire. Et toi, non seulement tu le vois, mais tu l’entends aussi. Tu n’as aucune idée de comment est calé le biorythme du mouton en milieu urbain, mais tu sais que vous n’avez absolument pas le même. Les trois moutons bêlent à peu près toute la nuit et c’est extrêmement pénible. Et puis, surtout, pourquoi trois moutons ? Tes voisins ne sont pas une si grande famille. Et puis tu n’es pas sûre qu’il y ait un lien entre la quantité de boulfaf ingérée et le niveau de piété. Alors quoi, on n’est pas très less is more dans le plus beau pays du monde ? Enfin bref, tu vas continuer à essayer de dormir au son des bêlements de ces trois moutons.
Pendant ce temps-là, un peu plus loin, de l’autre côté de la Méditerranée, l’extrême droite est arrivée en tête des élections européennes en France et arrivera probablement en tête des législatives le mois prochain. Toi, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, tu trouves ça horrible. Tu ne peux que trouver ça horrible. Mais au gré de tes errances sur les internets tu lis que “l’arrivée du Rassemblement National à Matignon pourrait déboucher sur la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara”.
La phrase est écrite en toute détente, comme une bonne nouvelle dont il faudrait se réjouir. Tu ne comprends peut-être pas grand-chose aux enjeux du monde. Tu manques sans doute d’intelligence et de cynisme pour comprendre quoi que ce soit. Mais non, l’arrivée de l’extrême droite ne peut pas être une bonne nouvelle. Nulle part. Jamais. L’extrême droite et ses idées nauséabondes de haine, de division et d’exclusion doivent être combattues. Aucune cause ne mérite qu’on se compromette. Aucune.