Les travaux, on sait quand ça commence…

Par Fatym Layachi

Il y a des jours où tu es de mauvaise humeur et tu ne vois absolument pas ce qui pourrait changer ça. Aujourd’hui est un de ces jours. Tu t’es réveillée de très mauvaise humeur, et, au mieux, ça ne va pas empirer. Ça fait un peu plus d’un mois que tu fais des travaux dans ton appart. Et à part les quelques premiers jours un peu excitants, tu dois reconnaître que ça fait un peu plus d’un mois que c’est très pénible. Tu ne sais pas trop pourquoi tu t’es lancée là- dedans. En vrai, tu ne fais pas grand-chose. Techniquement, tu n’es pas du tout en train de changer structurellement ton appart. Loin de là même.

Et puis surtout, c’est pas comme si ton appart c’était le palais de la Mendoubia. Concernant les dimensions, on en est même très très loin. Mais au vu du temps, du coût et de l’état avancé d’absolu bordel de ton appart, tu te demandes comment c’est mathématiquement possible. Au début, ça te semblait une évidence de devoir casser ce mur. Et puis une fois que tu as acté cette évidence et donc décidé de casser ce mur, tu as été prise d’une sorte de frénésie.

“Un chantier dans le plus beau pays du monde, ça n’est ni simple ni évident. Quel que soit le chantier. Qu’il s’agisse du Code de procédure pénale ou de la plomberie chez ta tante”

Fatym Layachi

Une frénésie d’envie de changements. Et là encore, tout te paraissait une évidence. Et tout ça te semblait tellement évident que tu pensais que ça serait d’une simplicité évidente. Elle est là, en fait, ta pire erreur. Un chantier dans le plus beau pays du monde, ça n’est ni simple ni évident. Quel que soit le chantier. Qu’il s’agisse du Code de procédure pénale ou de la plomberie chez ta tante, un chantier ne peut pas être simple.

Il n’est jamais chose aisée de réformer. C’est encore plus vrai ici. Enfin bref, tu es en galère au milieu de ton appart qui ne ressemble plus à rien. Et quand tu regardes ce chantier bordélique, tu te dis que tu aurais mieux fait d’ignorer cette idée à la con. Clairement, tu te dis que tu n’aurais rien dû changer. En regardant les dizaines de sacs de ciment, les portes sans charnières et les châssis de fenêtres démontés, tu ne vois pas comment ça pourrait être bien un jour. C’était forcément mieux avant. Tu es devenue partisane du statu quo.

Ton menuisier t’a guérie de toute velléité de changement. Ça fait cinq jours que tu l’attends. Et en cinq jours, tu as eu droit à un éventail de raisons censées expliquer ce retard, allant de la plus simple à la plus rocambolesque. Il y a eu le mal de dents du petit dernier, le problème de batterie de la voiture, l’oubli de téléphone, le décès dans la belle-famille et l’hospitalisation du père.

Hospitalisation du père qui a même été documentée par une photo WhatsApp. Et clairement, en découvrant l’image de la famille du menuisier au chevet d’un monsieur en jogging bleu, tu t’es dit qu’on avait basculé dans le surréalisme. A quel moment le type s’est dit que c’était une bonne idée d’envoyer à une meuf dont il refait les portes et les tiroirs de la cuisine une photo de son père allongé sur un lit d’hôpital ? Tu as beau essayer de chercher, tu ne trouves pas.

Et là, il y a ta mère qui passe voir. Et en plus, c’est ton idée. C’est toi qui lui a proposé de passer et c’est même toi qui lui a dit : “Ça serait sympa que tu me dises ce que tu en penses.” Comme quoi, les bonnes idées c’est comme les conneries, ça peut voler en escadrille. Alors, bien évidemment, elle lève les yeux au ciel. L’air consterné. Et selon elle, tu aurais dû faire plein de trucs. Tu aurais dû prendre une décoratrice. Tu n’aurais pas dû casser ce mur. Tu aurais dû… Tu n’écoutes pas le reste. La liste des reproches et des injonctions est toujours trop longue avec ta mère.

Tu rappelles le menuisier. Le mec t’explique le plus calmement du monde qu’il ne reviendra qu’après l’Aïd. Tu n’arrives pas à rester calme. Tu n’as pas le sang-froid du monsieur. Pourtant, à bien y regarder, c’est lui qui a raison. Il va passer l’Aïd dans la plus grande détente et toi, tu vas l’attendre en pestant. Tu te seras énervée, mais ça n’aura servi à rien. Comme souvent, quand il s’agit de chantiers.