Face à ton écran d’ordinateur, dans cet open space trop bruyant pour t’y sentir bien, ton esprit divague. Tu n’es pas du tout concentrée sur ton boulot. Tu penses à mille trucs en même temps. Mille trucs qui n’ont strictement rien à voir avec le travail. Tu te poses plein de questions. Pas exactement existentielles, mais pas non plus en rapport avec une quelconque efficacité professionnelle.
Pourtant, c’est pas comme si tu ne croulais pas sous les tâches à effectuer. Tu as une “prez’” à rendre dans trois heures, mais bizarrement, tu ne sembles pas plus stressée que ça. Et tout te semble bien plus passionnant que ce PowerPoint que tu dois terminer. Absolument tout. Tu es prête à lire n’importe quoi, à regarder n’importe quelle vidéo, pourvu que ça n’ait strictement aucun rapport avec ton travail.
Alors tu es là, face à ton ordi : l’iPhone dans la main droite, tu procrastines en errant sur les internets. Tu vogues de clic en clic, sans aucune cohérence ou même direction artistique. Tu swipes les stories et tu scrolles des threads. Tu distribues quelques likes, un petit pouce en l’air et parfois même, tu glisses un petit cœur ou un emoji d’étonnement. Tu lis des news plus ou moins intéressantes. Des trucs qui te touchent, d’autres dont tu te fiches complètement.
“On lit un tweet. On est indigné. On fait une story pour dire à quel point on est indigné. Et puis on continue de scroller”
Il y a aussi les petites polémiques et les grands débats. Ou plutôt les grandes polémiques et les petits débats. Les réseaux sociaux n’accordent que peu de place au dialogue. L’invective, c’est plus simple. Plus rapide aussi. Justement, tu trouves ça un peu hallucinant la rapidité avec laquelle on peut s’indigner, être ému ou choqué, et puis passer à autre chose tout aussi rapidement. Comme si les horreurs du monde n’avaient pas vraiment d’impact au-delà d’un tweet ou d’une story. On lit un tweet. On est indigné. On fait une story pour dire à quel point on est indigné. Et puis on continue de scroller. Jusqu’à la prochaine indignation.
Et au milieu de ce flot d’informations que tu ne retiendras pas forcément, une news attire particulièrement ton attention : “Plus de 316.000 personnes ont visité le Salon international du livre et de l’édition cette année”. 316.000 personnes, ce n’est pas rien. C’est même énorme. Tu trouves ça formidable.
Du coup, tu poursuis la lecture de l’article, tu ne vas pas te contenter du titre. Tu apprends que la fréquentation a connu une augmentation de plus de 32% par rapport à l’édition précédente. Ça aussi, tu trouves ça formidable. Tu apprends également qu’il y a eu près de 750 exposants venus d’une cinquantaine de pays, que près de 1500 activités ont été organisées par le ministère de la Culture ou par les exposants. Et là encore, tu trouves ça formidable.
“Qu’un écrivain soit attendu et accueilli comme une rock star, c’est génial”
Tu vois aussi des images d’un écrivain que des centaines de fans ont attendu pendant des heures. Des centaines de lecteurs sont donc venus de tout le pays pour faire signer un livre par son auteur. Et ces lecteurs venus de tout le pays étaient tellement nombreux que les services de sécurité ont dû mettre fin à la séance de dédicaces, par peur d’un gros débordement. Tu ne peux que trouver ça génial. Pas le débordement, mais qu’un écrivain soit attendu et accueilli comme une rock star, c’est génial. Que des jeunes soient prêts à attendre des heures sous le cagnard, espérant rencontrer leur auteur favori, c’est génial.
Ça dit quelque chose de génial. Ça dit quelque chose sur notre rapport à la littérature, aux livres. Ces merveilleux objets à faire voyager dans le temps et dans l’espace. Ces objets à faire grandir et faire rêver. Et même toi qui râles tout le temps et qui critiques tout, eh bien là, tu te dis que sur ce coup-là tout a été plutôt très bien fait. Et ce qui serait encore mieux, c’est qu’il y ait des salons du livre, des salons de toutes les expressions culturelles partout et plus souvent. Que la culture ne soit pas évènementielle mais fondamentale.