Emploi des femmes : c’est pour bientôt, vraiment ?

Face à la situation alarmante de l'emploi féminin au Maroc, la Confédération générale des entreprises au Maroc (CGEM) et la Société financière internationale (IFC) ont lancé conjointement la deuxième phase du projet commun “Morocco4Diversity”, le mardi 21 mai.

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Les partenaires de la CGEM et de l'IFC présentent leurs solutions pour favoriser l'emploi féminin, à l'occasion de l'événement "Promouvoir l'emploi des femmes au Maroc", le 21 mai. Crédit: CGEM/X

On ne peut pas imaginer un développement de notre économie sans un emploi plus important des femmes”, a rappelé d’emblée Mehdi Tazi, vice-président général de la CGEM. Son collaborateur sur le projet, Xavier Reille, directeur de l’IFC pour le Maghreb, a ajouté que “plus les femmes participent à l’économie, plus il y a de croissance, de performances dans l’entreprise et d’équité, de stabilité dans la société”, avant d’annoncer le lancement d’une nouvelle plateforme, Morocco4Diversity, “pour aider les chefs d’entreprise à employer plus de femmes, à les retenir et à les promouvoir”. Cette plateforme existe en réalité depuis 2020. Aveu d’un bilan infécond ?

État des lieux

L’événement, présenté par l’actrice et réalisatrice Samia Akariou, s’est ouvert avec un (énième) rappel sur la situation désastreuse de la participation des femmes au marché du travail au Maroc. La réalisatrice a confié sa surprise face au récent rapport du HCP quant aux femmes dans le monde rural : “Pour moi, le monde tournait autour de Casa et Rabat, et on avait des femmes qui travaillaient (rires). J’ai été très surprise”, a-t-elle dit, avant de laisser la parole aux représentants de la CGEM puis de l’IFC.

Mehdi Tazi a réaffirmé son étonnement — pour ne pas dire son hors-solisme — quant à la situation : “Moi non plus, je n’ai pas ce sentiment. Mais je suis probablement biaisé par le fait de travailler dans des grandes entreprises, dans de grandes villes”, avant d’admettre que “quelque chose ne tourne pas rond”, en comparant la situation du Maroc — où le taux de participation des femmes diminue constamment, atteignant les 19% en 2023 selon le HCP — à celle de l’Arabie saoudite, qui a fait augmenter ce chiffre de 20 à 30% en l’espace de 5 ans, malgré des vannes manifestement plus fermées sur la participation des femmes dans la société. Le représentant a conclu en affirmant qu’il était temps “d’arrêter de disserter sur la question, et de trouver des solutions concrètes et palpables”.

Xavier Reille abonde, avouant avoir peut-être “trop travaillé avec des grandes entreprises sur l’axe Casa-Rabat-Tanger” et devoir désormais “plus viser les PME”. “C’est en ayant deux salaires dans le ménage qu’on crée des classes moyennes plus prospères et qu’on réduit la fracture sociale”, a-t-il rappelé. Le directeur a également dit ne “pas vraiment connaître les causes” de ce constat : “on n’a qu’un chiffre”, malgré un rapport très fourni du HCP listant les causes en question. Il clôture son intervention sur une citation d’Antoine de Saint-Exupéry : “Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le faire advenir.”

S’en est suivie l’intervention de Saadia Slaoui Bennani, présidente de la Commission RSE et diversité de la CGEM, qui a raconté au public l’histoire d’Imene Abid, une jeune diplômée d’informatique qui fonde en 2018 “Tech for Her”, une initiative proposant ressources, ateliers et programmes de mentorat pour encourager à la féminisation de son secteur. Par cette histoire, fictive, la présidente a (re) mis en lumière le manque d’initiatives du même genre au Maroc. “Nous voulons créer des Imene”, a-t-elle affirmé.

À petits pas

L’événement s’est poursuivi avec les témoignages de deux intervenants, homme et femme, chacun confronté à son échelle à la question de l’employabilité des femmes.

Khalid Lahbabi, directeur des ressources humaines pour International Paper, une entreprise de produits de papeterie, a présenté le programme mené sous sa tutelle pour évoluer sur l’équité salariale. Ce dernier est réparti en trois axes : le recrutement, la qualité des infrastructures pour accueillir les femmes, et la sensibilisation à l’égalité des collaborateurs et collaboratrices.

Malgré les efforts menés par l’entreprise, l’intéressé a regretté la présence stagnante de “beaucoup de préjugés”, entretenus par les hommes comme les femmes, et a reconnu lui-même n’avoir que 120 femmes sur un effectif de plus de 1600 employés. Ce dernier a cependant été acclamé par le public après avoir annoncé la tenue, dans son entité, d’un “mois pour lutter contre la précarité menstruelle”.

Par la suite, Ilham Bargach, cheffe du département maintenance d’Autoroutes du Maroc (ADM) a témoigné, émue, de son parcours de vie. Assignée à résidence après la maladie de son enfant, celle-ci a fait le choix, encouragée par son conjoint, de reprendre la route du travail. Elle a par la suite été promue et a encouragé les femmes à tenter leur chance pour évoluer dans les échelons de leurs entreprises respectives.

Et les solutions ?

Quant aux solutions — qui ont quelque peu tardé à se faire entendre — celles-ci ont été exposées sous la forme d’un “Panel”, une discussion avec plusieurs intervenantes, partenaires de la CGEM et l’IFC, qui ont présenté leurs idées.

Siham Bouziane, responsable du pôle des études statistiques pour l’Observatoire marocain de la TPME, a, elle, souligné l’importance de la data dans le ciblage du problème. Cette dernière a encouragé la signature de conventions d’échanges de données et rappelé la nécessité de disposer de données fiables, comme celles sur l’investissement.

La discussion s’est poursuivie avec l’intervention riche de Doha Sahraoui, professeur à l’université Cadi Ayyad, également experte et consultante en genre, femmes et organisations. Cette dernière a présenté le modèle de Claudia Goldin, prix Nobel d’économie 2023, sur l’employabilité des femmes. Contrairement aux modèles précédents, qui prévoient une courbe montante, l’économiste a modélisé la participation des femmes avec une courbe en U, descendante puis en ascension. Seul bémol : le Maroc va échapper à la remontée, et s’engager dans une courbe descendante, selon la consultante.

La consultante a martelé ce qui relève selon elle d’une urgence : “Il faut relire le Code du travail de façon genrée.” Ce dernier consacre en effet la nécessité de protéger la fonction reproductive des femmes, les désencourageant à prendre la voie de l’emploi. Doha Sahraoui a exhorté à modifier ce Code pour améliorer les conditions de travail des femmes et protéger ces dernières des agressions sexuelles.

Radia Chmanti Houari, membre du bureau de We4She, et Samira Khamlichi, présidente du Club des femmes administrateurs CFA Maroc, ont enfin rappelé l’importance de la collaboration des entreprises avec la société civile.

Morocco4Diversity, partie 2

L’événement s’est clôturé sur un échange bilingue entre Fatima-Zahra Khalifa, vice-présidente de la Commission RSE et diversité de la CGEM, et Sammar Essmat, chargée des opérations pour le genre et l’inclusion économique à IFC, autour de leur projet commun, copiloté depuis bientôt quatre ans : Morocco4Diversity.

Après que la vice-présidente a demandé au public de rappeler l’ampleur de l’écart salarial — ce à quoi un membre du public masculin a répondu “22%” avant qu’elle ne le corrige en souriant “non, 43%” — Sammar Essmat a présenté les trois axes de travail du programme : promotion, équité et représentativité dans la gouvernance.

Les deux intervenantes ont ainsi annoncé le lancement de la deuxième phase de la plateforme, qui a permis, depuis 2020, l’engagement de plus de 70 entreprises marocaines à prendre des mesures concrètes en faveur de l’égalité des sexes au travail. Cette deuxième phase s’appuiera sur les leçons tirées de la première, pour continuer de développer le leadership et l’entrepreneuriat féminin.