Vol à l’étalage

Par Yassine Majdi

C’est un communiqué en forme de dernier avertissement. Ce 1er mai, l’Association nationale des médias et éditeurs (ANME) – qui regroupe des éditeurs de la presse papier et numérique et dont TelQuel fait partie – a décidé de dénoncer les pratiques de certains prestataires spécialisés “dans la veille et les revues de presse”, dont l’activité porte atteinte aux droits de propriété intellectuelle ainsi qu’aux intérêts de la presse marocaine.

Depuis plusieurs années maintenant, des entreprises se sont enrichies sur le dos de la presse nationale à travers un procédé simple mais illégal. Copier intégralement, sans autorisation, les articles publiés par les journaux et sites de presse électronique marocains et les revendre à des entreprises et administrations au Maroc et à l’étranger. Pour cela, un contrat est signé entre un prestataire fournissant des revues de presse à des clients sous la dénomination de “services de veille média” ou de “revue de presse”.

“La presse papier est scannée par des dizaines de petites mains, et les sites de la presse électronique sont “aspirés” à travers des méthodes comme le scrapping, pour pouvoir reproduire et vendre illégalement les articles de la presse nationale”

Yassine Majdi

Les clients de ces prestataires se voient offrir plusieurs options, comme une veille sur des mots clés ou encore l’accès à l’ensemble des articles et archives de médias de leur choix. Dans cette industrie de l’ombre, qui a pourtant pignon sur rue, la presse papier est scannée par des dizaines de petites mains, tandis que les sites de la presse électronique, gratuits ou payants, sont “aspirés” à travers des méthodes comme le scrapping, pour pouvoir reproduire et vendre intégralement, mais surtout illégalement, les articles de la presse nationale. Pourtant, la loi est on ne peut plus claire à ce sujet. C’est une violation flagrante de la loi sur les droits d’auteur, du Code pénal, mais aussi des lois sur la cybersécurité, comme l’ont pointé nos confrères de Médias24.

L’une des entreprises les plus représentatives de cette industrie illégale est dirigée par un député RNI. Son activité est florissante puisqu’elle emploierait plus de 250 personnes. Comme elle le proclame fièrement sur son site, elle opère depuis maintenant deux décennies. Son patron a même poussé le bouchon jusqu’à réclamer, lors d’une session publique de la Chambre des représentants, plus de soutien de l’État pour le secteur de la presse que, par ailleurs, son entreprise pille activement et allègrement. On en sourirait presque, si des milliers d’emplois dans la presse n’étaient menacés de destruction par son activité.

Mais cette “industrie” ne pourrait s’épanouir et se développer s’il n’y avait pas une demande forte. Ces “prestataires” ont en effet pour clients de nombreuses grandes institutions. L’enquête menée par l’ANME a permis de dégager une liste incluant des ministères, des établissements et des entreprises publics, de grandes banques et assurances de la place, des entreprises de communication et de relations publiques, ainsi que des multinationales…

Contactés à ce sujet, des responsables de ces entreprises ont déclaré ignorer que ce qu’ils faisaient était illégal et que, ce faisant, ils se rendaient coupables de recel. D’autres, au nom de quelques économies marginales, préfèrent verser dans l’illégalité, quitte à faire courir un risque juridique sérieux à leurs entreprises et à leurs dirigeants.

L’ANME, à travers son communiqué, met tous les intervenants devant leurs responsabilités. Les “prestataires” sont mis en demeure d’arrêter immédiatement cette activité illégale et d’indemniser les supports de presse pour les années de pillage et de revente de leurs contenus. Les clients, qui sont désormais conscients de l’illégalité de cette activité, sont invités à s’adresser à des entreprises qui fournissent une revue de presse légale – il en existe – en vue de respecter les lois marocaines. Ils sont aussi invités à accéder aux contenus des médias nationaux par les différents moyens légaux à leur disposition : abonnements, achat à l’unité, accès direct aux sites gratuits…

Au-delà du respect de la loi, il en va de la survie d’un secteur déjà fortement éprouvé, du maintien de milliers d’emplois et de l’existence d’une presse libre capable de pleinement assurer son rôle dans notre pays.