[Diaporama] Six mois de guerre à Gaza dans l’œil des photojournalistes palestiniens

En collaboration avec l’ONU, et tandis que les journalistes étrangers sont interdits d’accès au territoire palestinien, TelQuel partage les images et témoignages de 14 photojournalistes gazaouis documentant le génocide en cours, pour ne jamais oublier.

Par

“Un enfant palestinien, extrait des décombres, a été transporté à l’hôpital Nasser. Là-bas, sa tante l’a reconnu et s’est mise à crier son nom : ‘C’est Diya’a, c’est Diya’a…’ Lorsque ses frères et sœurs, sa mère et son père sont arrivés, leur douleur était immense. Je ne l’oublierai jamais. Il avait quitté leur maison pour aller chercher du bois pour se chauffer lorsqu’il a été tué par une frappe aérienne.” Crédit: Belal Khaled

Nous partageons ces images avec le monde extérieur, dans l’espoir de transmettre la réalité de nos expériences. (…) Nos photographies illustrent la douloureuse réalité de la vie ici et mettent en lumière l’hypocrisie du monde à l’égard de Gaza”, résume le photojournaliste palestinien Mohammed Zaanoun.

Six mois après le début de la guerre, déclenchée le 7 octobre 2023 par l’attaque du Hamas, qui a fait 1170 morts et 250 otages israéliens (129 encore détenus à Gaza) d’après le dernier bilan AFP, et près de 34.000 morts à Gaza d’après le ministère de la Santé du Hamas, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires à l’ONU (OCHA), a demandé à 14 photojournalistes palestiniens de partager une ou plusieurs images prises dans la bande de Gaza pendant ces longs mois de guerre.

Les journalistes étrangers étant interdits d’accès au territoire palestinien, ceux sur place — dont 103 ont été tués depuis le 7 octobre, selon Reporters sans frontières (RSF) — sont les seuls témoins de la tragédie en cours.

TW : certaines images peuvent heurter la sensibilité.

Ahmed Zakot : “Je n’ai jamais ressenti une telle peur et une telle détresse”

Photo prise le 9 octobre 2023. @ahmedzakotCrédit: Ahmed Zakot

“C’est comme si des flammes sortaient des mâchoires des chars israéliens et des missiles tirés par les F-16. J’ai pris cette photo depuis le 19e étage d’un gratte-ciel à Gaza. En 25 ans de carrière en tant que photographe, je n’ai jamais ressenti une telle peur et une telle détresse. J’avais l’impression de tourner une scène de film, je devais me rappeler que tout cela était trop réel. Je n’ai pas les mots pour décrire cette image, mais c’est bien de la terreur que j’ai ressentie en regardant les flammes illuminer Gaza, noyée dans l’obscurité à cause des coupures d’électricité.”

Photo prise le 10 novembre 2023. @ahmedzakotCrédit: Ahmed Zakot

“Des milliers de Palestiniens ont été contraints de se déplacer en raison du bombardement intensif de leurs villes natales. Alors que je prenais cette photo, je me suis souvenu que mon grand-père m’avait parlé de la ‘Nakba’ et de comment il avait été déplacé. J’ai commencé à pleurer. Mon grand-père est mort en 2002, et j’ai revu son histoire dans tous ses détails : les enfants, les femmes, la nourriture et les biens qu’ils transportent de leurs mains impuissantes. C’est exactement ce que mon grand-père m’avait décrit, et je me suis effondré, avec de l’amertume et de la douleur dans le cœur.”

Mohammed Zaanoun : “Une zone résidentielle entière réduite à néant”

Photo prise le 10 octobre 2023. @m.z.gazaCrédit: Mohammed Zaanoun / Middle East Images

“Cette photo montre le quartier d’Al Rimal, dans la ville de Gaza, après avoir été la cible d’un grand nombre d’explosifs et de missiles. Une zone résidentielle entière a été réduite à néant.”

Photo prise le 4 novembre 2023. @m.z.gazaCrédit: Mohammed Zaanoun / Middle East Images

“Les pieds d’un enfant étaient les seuls visibles dans les décombres. La petite fille a été tuée avec trois de ses frères par une frappe aérienne israélienne sur le marché de Khan Younès. Leur mère a survécu, espérant pendant des heures qu’ils soient sortis vivants des décombres par les ambulanciers, là où se trouvait autrefois sa maison.”

Photo prise le 7 novembre 2023. @m.z.gazaCrédit: Mohammed Zaanoun / Middle East Images

“Cette petite fille a été tirée des décombres, sa mère atteinte d’un cancer à ses côtés. Toutes deux ont été grièvement blessées, dans les décombres de leur propre maison. Elles en ont été sorties vivantes, mais je ne peux pas vous dire si elles sont encore en vie aujourd’hui.”

Mohammed Abed : “Je pouvais sentir qu’elle revivait ses souvenirs”

Photo prise le 19 octobre 2023. @mohmdbabaCrédit: Mohammed Abed

“Une femme découvre sa maison détruite. Une frappe aérienne israélienne avait visé et démoli un bâtiment voisin, avec une telle intensité que sa maison et tout le quartier ont été dévastés. Elle porte une robe de prière, l’unique vêtement pratique que les femmes emportent avec elles, car elles sont constamment en mouvement, courant pour se mettre à l’abri. Ses lamentations m’ont profondément ému, je pouvais sentir qu’elle revivait ses souvenirs.”

Sameh-Nidal Rahmi : “Au lieu de vivre son enfance”

Photo prise le 14 octobre 2023. @sameh_rahmiCrédit: Sameh-Nidal Rahmi

“Voici ma fille Beirut, elle a sept ans. Tout était froid et sombre, quand le soleil s’est levé et a réchauffé son corps. Elle a été témoin de deux guerres à Gaza et elle sait distinguer le bruit des bombes, des avions et des balles, au lieu de vivre son enfance, comme tous les enfants de Gaza qui n’ont pas vécu leur vie comme un enfant le devrait.”

Mahmud Hams : “La souffrance est partout”

Photo prise le 24 octobre 2023. @mahmudhamsCrédit: Mahmud Hams

“Il a fallu beaucoup de temps pour fouiller les décombres. Pour retirer les blessés et les cadavres d’adultes et d’enfants. On pense à ses propres enfants, conscient que cela peut aussi leur arriver. On pleure, on suffoque. C’est très dur. Personne n’est épargné par la douleur dans la bande de Gaza. Que vous ayez perdu vos enfants, votre famille, vos amis, vos voisins… Qu’ils soient blessés ou tués. La souffrance est partout.”

Photo prise le 5 novembre 2023. @mahmudhamsCrédit: Mahmud Hams

“Mohamed El Aloul est cameraman pour l’agence de presse Anadolu. C’est mon ami. Nous passons beaucoup de temps ensemble, et nous couvrons aussi souvent la guerre ensemble. Quatre de ses enfants ont été tués dans une frappe aérienne. Sa femme a été grièvement blessée. Lorsqu’il a appris ce qui était arrivé à sa famille, c’était tôt le matin et nous étions ensemble à l’hôpital. Nous sommes allés à la morgue d’Al Alqsa. Je connaissais ses enfants. Tout ce que je pouvais faire, c’était être là, avec lui, en train de pleurer.”

Saher Alghorra : “Un hurlement que je n’oublierai jamais”

Photo prise le 9 octobre 2023. @saher_alghorraCrédit: Saher Alghorra / Middle East Images

“J’étais assis dans un café en face de l’hôpital Al-Shifa lorsque nous avons entendu une énorme explosion. Nous nous sommes précipités à l’hôpital pour voir un afflux de blessés et de morts. J’ai suivi le son d’un cri de douleur, un hurlement que je n’oublierai jamais. J’ai trouvé ce père avec son enfant mort. Il semblait être dans un état hallucinatoire, répétant : ‘Nous achetions des légumes, nous achetions des légumes…’”

Samar Abu Elouf : “Je n’oublierai pas les enfants dans les hôpitaux”

“Je n’oublierai pas les enfants dans les hôpitaux… attendant leur tour pour être soignés sur des lits sans matelas. Des hôpitaux manquant d’équipements, de médicaments, de tout… avec un flux constant d’enfants tirés des décombres de leur maison, pleurant et tremblant de peur et de la gravité de leurs blessures, et souvent sans leurs parents.”

Belal Khaled : “Qu’avez-vous fait pour Gaza ?”

Photo prise le 1er novembre 2023. @belalkhCrédit: Belal Khaled

“C’est un miroir resté accroché dans une petite maison chaleureuse de Khan Younès, où onze personnes venaient d’être tuées dans leur sommeil par un missile israélien. Lorsque vous vous regardez dans le miroir, demandez-vous : qu’avez-vous fait pour Gaza ? Êtes-vous fatigué ? Parce que nous continuons à être massacrés.”

Photo prise le 7 novembre 2023. @belalkhCrédit: Belal Khaled

“Cet enfant a été sorti des décombres ; il a perdu toute sa famille. Il pleurait de manière hystérique et pendant que je prenais la photo, il n’arrêtait pas de demander où était son vélo, disant qu’il appartenait à quelqu’un d’autre. Cette innocence et ce chagrin, pensant à ce vélo sans bien comprendre ce qu’il venait de vivre, ça m’a marqué.”

Haitham Imad : “On marchait entre les blessés”

“Ce fut une journée particulièrement sanglante. Les blessés arrivaient en grand nombre à l’hôpital al-Nasser. J’ai entendu dire qu’une cible se trouvait à côté de la maison où ma famille avait été déplacée. J’étais en état de choc. J’ai commencé à chercher parmi les blessés. Dieu merci, aucun membre de ma famille n’était là. Mais la situation était très difficile. En tant que journalistes, nous sommes particulièrement conscients de la situation. J’ai moi-même été blessé et tiré de sous les décombres. Je sais ce que c’est. Ce jour-là, les victimes étaient innombrables. Les médecins n’avaient pas la capacité de faire face, à tel point que, comme le montre clairement la photo, il n’y avait pas assez de place aux urgences de l’hôpital. On marchait entre les blessés, entendant leurs gémissements… C’était très dur. L’un des jours les plus difficiles que j’ai vécus pendant cette guerre.”

Jehan Kawera : “Un bonbon dans sa main ensanglantée”

“De tous les moments difficiles que j’ai traversés pendant ces mois de guerre, celui où cette petite fille est arrivée a été un moment que je ne peux pas oublier. Je n’ai pas pu me retenir de pleurer quand je l’ai vue à bout de souffle, un bonbon dans sa main ensanglantée. Je n’oublierai jamais quand elle a été transportée à la morgue. Le bonbon est tombé à mes pieds sur le sol imbibé de sang.”

Jehad Al Shrafi : “Un enfant comme les autres”

“Ibrahim a 12 ans. Il a été touché par un obus de char dans l’école où ils ont été déplacés. Il a perdu sa main droite. C’est un enfant comme les autres. Un enfant qui veut jouer. C’est la première guerre que j’ai vécue en tant que photojournaliste. J’ai 22 ans, je suis passionné par l’environnement et le travail humanitaire. Je suis né à Gaza, j’y ai grandi. Les deux dernières années, je vivais entre Jérusalem et Ramallah, et je me rendais de temps en temps à Gaza. Je me déplaçais et la vie était belle. En tant qu’être humain, je vis en guerre et en tant que journaliste, je couvre la guerre. Le sentiment de peur nous domine toujours parce qu’il n’y a rien pour nous protéger. J’imagine toujours que si j’étais dans un autre pays, quelqu’un de mon âge serait à l’université ou en train de faire du bénévolat, et il serait encore au début de sa vie. Il penserait à l’amour, à la vie, à la façon d’être heureux, mais ce qui nous est arrivé nous a rendus beaucoup plus vieux que notre âge. Notre plus grand rêve est simplement de rentrer chez nous.”

Mariam Abu Dagga : “Chaque photo hante nos cœurs”

“Avant la guerre, j’avais l’habitude de prendre des photos de choses magnifiques, mais ces belles images sont devenues des photos de chagrin et de douleur. Chaque cliché que je prends, je l’habite pendant un certain temps, je vis ce qui s’y passe. Lorsque j’ai pris la photo des enfants qui mangeaient dans la rue, je n’ai cessé de penser qu’ils avaient vécu une belle vie dans leur maison. Je suis une mère. Mon fils a vécu deux mois de guerre à Gaza. J’avais l’habitude de rester loin de lui pendant des semaines, mais pour le garder en sécurité, je l’ai envoyé chez des membres de ma famille aux Émirats jusqu’à la fin de la guerre. C’était l’adieu le plus difficile qui soit. Chaque photo que nous prenons hante nos cœurs, mais c’est la seule manière pour nous de témoigner de notre quotidien.”

Yasser Qudih : “Il n’a pas fallu longtemps pour que la nourriture s’épuise”

Photo prise le 24 février 2024. @yasser.pix84Crédit: Yasser Qudih / Middle East Images

“Ces enfants se tiennent dans une tekiah, un lieu où l’on distribue de la nourriture, à Rafah. La fillette criait sur un homme qui en distribuait pour attirer son attention avant qu’il n’y en ait plus. Il n’a pas fallu longtemps pour que la nourriture s’épuise.”

Ismael Abu Dayyah : “Aucune image ne pourra jamais décrire ce que l’on ressent”

“Nous dormions à l’hôpital al-Nasser. Nous nous réveillions tôt le matin et nous dirigions vers la morgue pour documenter les victimes. Un matin, une famille disait au revoir à cette jeune fille. C’était une scène terrible. Il y avait plus de 35 corps à la morgue ce jour-là. Elle et les autres ont été mis dans un sac en plastique noir et emmenés au cimetière. Aucune image ne pourra jamais décrire ce que l’on ressent. Nous voyons ces scènes quotidiennement et c’est épuisant.”

“J’ai pris cette photo à la frontière, lors de mon premier jour à Rafah, après avoir fui Khan Younès. J’ai vu des enfants se balancer sur des fils électriques. Les fils étaient hors service comme tant d’autres choses, mais au moins ils procuraient ce bonheur.”

Les textes et photographies reflètent le point de vue personnel des contributeurs et pas nécessairement celui des Nations unies.

à lire aussi