Il arrive, de temps en temps, que notre paisible contrée soit parcourue par une polémique numérique de basse intensité mais de bonne facture. Le Boualem ne loupe jamais ce genre de convulsions, elles le plongent dans la réflexion et il aime vous en rendre compte dans ces pages, avec la rigueur que vous lui connaissez.
Voici l’affaire. L’administration marocaine, que Dieu lui vienne en aide, a décidé, dans sa quête implacable de progrès vers les lumières de l’efficacité, de modifier la procédure de demande de passeport pour les enfants. Désormais, la maman peut réaliser cette procédure seule.
Soyons clairs : il ne s’agit aucunement de laisser les bambins traverser les frontières sans autorisation, loin de là. Il est juste question, au moment de la demande, d’estimer qu’un seul parent peut suffire pour cette opération absolument administrative. Il est donc difficile de parler de révolution. C’est le genre de réforme dont on peut même se demander si elle mérite son nom, voilà ce qu’en pense Zakaria Boualem.
Pourtant, il s’est trouvé un nombre important d’internautes pour hurler à l’ignominie, c’est assez étrange. Sans la moindre retenue, ils ont dénoncé l’intrusion infâme du féminisme dans notre pays de traditions, condamné une insupportable attaque contre notre patriarcat légendaire et gémi contre cette dinguerie qui menace de saper le fondement de notre nation, ce genre de choses.
“Notre pays vacille sur ses fondations à cause de la suppression d’une signature. Des âmes fragiles imaginent que si on se passe de la signature du papa au moment de demander le passeport du gamin, il est bafoué dans son honneur”
D’autres, plus radicaux, ont estimé que le Maroc était en danger, rien de moins. Autrement dit, notre pays, dont la profondeur historique est chantée par les mêmes personnes, vacille sur ses fondations à cause de la suppression d’une signature dans une procédure administrative. À la lecture de ces commentaires, le Guercifi, en dépit de son statut de Marocain qui lui a forgé une certaine résistance au délire, a été un peu surpris par la violence des convulsions.
Car il faut également ajouter les opposants passifs, ceux qui ne critiquent pas vraiment la réformette mais qui se demandent, à coup de questionnements lancinants, s’il n’y avait vraiment pas d’autres priorités. Petite parenthèse pour signaler que ceux-là sont les préférés du Boualem. à chaque fois que quelqu’un fait quelque chose, ils se demandent pourquoi il ne fait pas autre chose avant de faire cette chose, c’est savoureux.
À les lire, on a l’impression que notre administration se compose d’une seule personne, qui ne fait qu’une seule chose par jour, mais passons… Donc, des âmes fragiles s’inquiètent des dangereuses dérives féministes du Maroc, voilà ce qu’il faut retenir de cette micro-polémique. Ils imaginent, les bougres, que si on se passe de la signature du papa au moment de demander le passeport du gamin, il est attaqué dans sa dignité et bafoué dans son honneur, voilà où nous en sommes.
C’est l’occasion de rappeler une chose importante, établie par le Boualem depuis des années : par écrit ou oralement, du moment que c’est en public, le Marocain, s’il est sommé de donner son avis, optera systématiquement pour le plus conservateur. Si on lui demande par exemple : “Êtes-vous favorable à une Moudawana basée sur la Charia ?”, il lui est presque impossible de répondre non en public, et si on lui demande quelle radio il écoute, il répondra celle qui passe le Saint Coran.
Voilà ce qui explique les scores spectaculaires obtenus par ce genre de sondages, sans qu’il ne faille en tirer de grandes conclusions, tant cette affaire se limite au verbe. C’est en tout cas l’idée du Boualem. Mais il voudrait aussi rassurer nos héros de la masculinité, car au rythme des réformes – à savoir la suppression d’un tampon par décennie – ils ont encore largement le temps de s’organiser face au péril féministe… C’est tout pour la semaine, et merci.