Hydrogène vert: un crash test de l’agilité de l’État

L’Offre Maroc pour le développement de la filière de l’hydrogène vert publiée le 11 mars est la deuxième déclinaison d’une feuille de route marocaine pour l’hydrogène. A première vue, le développement de la filière dépendra en partie de la capacité des entités publiques à synchroniser leurs programmes et à travailler en harmonie. Tout un challenge.

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En novembre 2022, le Roi a demandé une nouvelle copie de l’offre Maroc. Crédit: MAP

Le Maroc tient enfin son offre hydrogène. Alors qu’une première version de cette feuille de route pour le secteur avait été retoquée par le roi Mohammed VI en novembre 2022, Aziz Akhannouch a publié le 11 mars une nouvelle circulaire détaillant l’Offre marocaine dans le domaine de l’hydrogène.

Le document publié par la primature constitue le point de départ de véritables “travaux d’Hercule” pour le Maroc au vu de la taille des infrastructures adossées à la filière. Surtout que les investissements promettent d’être colossaux.

Dans la première mouture publiée en 2021, la feuille de route évoquait des investissements allant de 140 milliards de dirhams à 1000 milliards de dirhams entre 2020 et 2050. Des chiffres qui feraient du développement de la filière hydrogène, l’un des plus grands programmes sectoriels entrepris au Maroc.

Les développements d’infrastructures lourdes telles que les pipelines de transport de gaz, les quais portuaires dédiés et les installations de stockage relèvent du temps long et nécessitent une parfaite synchronisation de différentes entités publiques impliquées dans la mise en œuvre de ce gigantesque chantier. Ça n’a jamais été un point fort du secteur public. La filière hydrogène en serait peut-être le détonateur.

“À ce jour, près d’une centaine d’investisseurs, nationaux et internationaux, ont d’ores et déjà exprimé un intérêt afin de produire de l’hydrogène vert au Maroc”

Mohcine Jazouli, ministre délégué en charge de l’Investissement

La capacité des acteurs publics à synchroniser leurs programmes d’investissement et à travailler ensemble, constitue un véritable crash test. “À ce jour, près d’une centaine d’investisseurs, nationaux et internationaux, ont d’ores et déjà exprimé un intérêt afin de produire de l’hydrogène vert au Maroc”, nous confie Mohcine Jazouli, ministre délégué en charge de l’Investissement, de la Convergence et de l’Évaluation des politiques publiques, investi VRP en chef de l’Offre Maroc auprès des investisseurs. Toutefois, aucune convention n’a encore été signée et aucun foncier n’a encore été attribué, précise-t-il même si des déclarations d’intention ont déjà été faites par des acteurs du secteur.

Trois principaux débouchés

Côté incitations, les projets de la filière hydrogène se verront appliquer le dispositif applicable aux projets d’investissement à caractère stratégique, confirme le ministre. Ce paquet constitue la “première classe” des avantages figurant dans la vitrine marketing de la promotion des investissements.

Au-delà de la structuration industrielle et de l’accélération économique attendue de la filière de l’hydrogène vert, l’autre enjeu pour le Royaume se situe au niveau des réserves de change et de la décarbonation de son économie. En effet, les achats de l’ammoniac, un des intrants essentiels à la production des engrais phosphatés par le groupe OCP, ont triplé en 2022 pour atteindre 21,4 milliards de dirhams ! Disposer d’une base locale de production de l’ammoniac vert permet de réduire cette facture. D’autant qu’elle permettrait au Maroc de devenir un producteur important d’hydrogène.

L’industrie de l’hydrogène vert et de ses dérivés au Maroc pourrait faire face à une demande comprise entre 13,9 TWh et 30,1 TWh en 2030, selon les projections effectuées en 2021. L’essentiel de la demande, plus de 90%, proviendra de l’export et de l’industrie. Une demande plus limitée pourrait apparaître dans le secteur des transports, associée à l’hydrogène vert utilisé pour le fret, les mines et les transports publics.

Une inconnue, la compétitivité

La filière marocaine de l’hydrogène vert repose sur deux piliers. Le premier est l’utilisation locale comme matière première pour la production de l’ammoniac vert dans l’industrie des engrais. Le deuxième est l’exportation de dérivés de l’hydrogène vert en Europe où plusieurs pays sont en train de développer leur filière hydrogène.

23 opérateurs européens de transport de gaz naturel ont travaillé pour faire émerger une dorsale de l’hydrogène qui compterait 27.000 kilomètres en 2030 et 40.000 kilomètres en 2040. À court terme, les coûts des produits de l’hydrogène vert resteraient plus élevés que ceux des produits conventionnels.

Selon les économistes des marchés des commodities, il faut compter entre 1 et 2 dollars pour produire un kilo d’hydrogène gris, et jusqu’à 4 fois plus pour un kilo d’hydrogène vert. Mais sa compétitivité-prix ira en s’améliorant grâce aux gains générés par les économies d’échelle et à l’effet d’apprentissage, les coûts de production de l’hydrogène vert devraient continuer baisser d’ici 2030, et les courbes des coûts du gris et de l’hydrogène vert devraient se croiser à cette échéance.

L’Offre Maroc devrait donc bénéficier de cette fenêtre favorable. Sans “cramer” la caisse de l’Etat, il faudrait peut-être imaginer dans un premier temps, un dispositif pour rendre compétitif l’hydrogène vert produit au Maroc dans l’hypothèse où les avantages prévus dans la Charte de l’investissement ne suffisent pas.

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Le match se joue au niveau mondial

14 pays dans le monde ont déjà rendu publique leur stratégie hydrogène. La construction du premier hydrogénoduc mondial a été annoncée par la France, l’Espagne et le Portugal. Ne disposant pas d’une électricité décarbonée, l’Allemagne se concentre plus sur l’aval et les usages de l’hydrogène vert.

Elle mise sur une production d’hydrogène renouvelable délocalisée, issue d’une électricité photovoltaïque produite au Maghreb, notamment au Maroc. Rabat et Berlin ont d’ailleurs annoncé un partenariat approfondi dans ce domaine.

En Grande-Bretagne, le développement d’un réseau est envisagé pour relier 5 pôles industriels et créer ainsi un réseau de plus de 2.000 kilomètres. En Italie, 50 % des investissements de l’opérateur de transport de gaz naturel sont dédiés à préparer la conversion du réseau à l’hydrogène.

En Espagne, le gouvernement a affirmé sa volonté de développer une filière hydrogène en profitant du potentiel d’énergie renouvelable dont bénéficie le pays. Le pays compte actuellement 430 gigawatts de projets solaires et éoliens planifiés, en attente d’autorisation d’être connectés au réseau électrique.