Un placard à soi

Par Fatym Layachi

Tu en as un peu marre de tout en ce moment. Ta mère te soûle. Ton boulot te gonfle. Tes collègues t’agacent. Zee te fatigue. Les histoires foireuses de Zee te font bâiller. Les mecs foireux des histoires foireuses de Zee te mettent hors de toi. Ta voisine t’énerve tous les jours. Les hurlements du chien de ta voisine t’énervent encore plus que ta voisine. L’état du monde te déprime. Ta coupe de cheveux qui n’en est plus une te fait soupirer. Et ta garde-robe t’ennuie. Tu n’as plus rien à te mettre. D’ailleurs, ce matin, tu es en culotte devant ton miroir et tu ne sais pas quoi te mettre.

Tu as littéralement sorti tout ton placard, tu as essayé au moins dix-sept combinaisons de hauts et bas différents. Puis d’autres bas avec d’autres hauts. Puis le même bas avec un autre haut. Puis un autre haut. Et encore un autre. Et puis tu as essayé avec une veste. Une veste noire. Ça serait peut-être mieux avec une veste en jean. Oui, ça serait parfait avec une veste en jean. Mais pas du tout avec cette veste en jean que tu as. Tu devrais t’en acheter une autre de veste en jean. Celle-là, elle ne rime plus à rien. Trop longue. Ou peut-être pas assez longue. En tout cas, clairement pas de la bonne longueur. Du coup, pas cette veste.

Une autre veste ? Cette petite veste noire. Elle est parfaite. Non, pas cette veste finalement. Elle a une énorme tâche. Tu te souviens que Zee a fait tomber une partie de sa verrine de saumon gravlax pendant ce vernissage jeudi dernier. Pourquoi tu ne l’as pas déposée au pressing ? Ça fait partie des grands mystères de ton quotidien. Ça relève de ce grand talent que tu as de te noyer dans un verre d’eau. Enfin bref, ça ne sera pas cette veste. Pourtant elle était parfaite. Maintenant, tu es déjà très en retard. Alors quoi ? Une veste grise ? C’est d’un triste ce gris.

De la couleur. Oui, c’est bien, de la couleur. Au milieu de tes dizaines de fringues en monochrome de noir, tu repères du jaune. Ça peut être bien du jaune ! Tu enfiles cette veste jaune. Et en fait non, c’est absurde. Cette veste est absolument absurde. Elle est d’un jaune absurde.

« Ton placard est un peu à l’image de ta vie en ce moment. Surchargé, bordélique, débordant, mais avec pas grand-chose qui te plaise vraiment”

Fatym Layachi

Qu’est-ce qu’il a bien pu t’arriver le jour où tu acheté cette veste jaune ? Comment as-tu pu décemment imaginer que : un, une veste jaune canari hors de prix était un achat pertinent ? Deux, qu’une veste jaune canari était potentiellement un vêtement que tu envisagerais un matin pour aller au boulot en pleine possession de tes capacités de réflexion et d’analyse. Trois, que cette veste jaune canari pourrait aller avec ton teint maussade. Non, vraiment, il n’y a rien qui va dans cette veste et encore moins dans toi dans cette veste.

“Finalement, à force de vouloir te fringuer comme dans les magazines, comme ta belle-sœur, comme ta pote (…) tu finis par ressembler à plein de choses, plutôt jolies ou en tout cas stylées, mais rarement à toi”

Fatym Layachi

Tu soupires. Tu en as marre. Tu es de nouveau en culotte. Tu enfiles un jean, une chemise blanche réconfortante, et des Converse. Parce que de toute manière, tu finis toujours en Converse. Tu es hyper en retard. Ta chambre ressemble à un champ de bataille. Il y a des fringues partout. Sur ton lit. Jetées par terre. Empilées sur ce meuble qu’on ne devine même plus sous cet amoncellement de tee-shirts, de pantalons, de vestes et encore plus de tee-shirts. Ton placard est un peu à l’image de ta vie en ce moment. Surchargé, bordélique, débordant, incohérent, excessif, qui te coûte une blinde, plein de trucs divers et variés mais avec pas grand-chose qui te plaise vraiment. Finalement, à force de vouloir te fringuer comme dans les magazines, comme ta belle-sœur, comme ta pote, comme ce mannequin de plastique dans la vitrine de la super boutique de la femme du cousin de Zee, ou même comme cette meuf aux cheveux longs que tu croises chez l’esthèt’, tu finis par ressembler à plein de choses, plutôt jolies ou en tout cas stylées, mais rarement à toi.