Repenser le PAM

Par Réda Dalil

C’est donc une direction collégiale qui prend la tête du PAM. Au terme du 5e congrès du parti du tracteur, le choix s’est porté sur Fatima Ezzahra El Mansouri, actuelle ministre de l’Aménagement du territoire, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville, de Mehdi Bensaid, le ministre de la Culture, de la jeunesse et de la communication, et d’un visage moins familier du grand public, Salaheddine Aboulghali, député et membre du bureau politique du parti. Le rôle de coordinatrice générale de ce triumvirat sera assumé par El Mansouri, qui parlera au nom du parti.

à lire aussi

Le choix de passer de la formule du zaïm à celle du trio dirigeant n’est pas inintéressant. Il tranche en tout cas avec les pratiques politiques de notre pays, qui plébiscitent l’homme providentiel dans une sorte de centralisation extrême de la prise de décision. Il restera à trouver les mécanismes de cohabitation au sein du trio afin d’éviter toute cacophonie, mais la méthode ne manque pas de piquant. Seulement, pour le PAM, créer de l’harmonie au sein de son nouveau leadership n’est pas le plus urgent.

Le parti se trouve au cœur d’une séquence houleuse. Deux de ses cadres les plus importants, Saïd Naciri et Abdenbi Bioui, sont empêtrés dans une sale affaire de narcotrafic et de blanchiment. Tous deux sont écroués en attendant l’amorce du procès qui jettera toute la lumière sur l’affaire dite “Escobar du Sahara”. Si Fatima Ezzahra El Mansouri assure que ce scandale ne concerne que deux individus mais pas le parti entier, son argument est fragile.

Car Bioui et Naciri ne sont pas deux élus obscurs. Le premier est député, président de la région de l’Oriental et un des plus grands opérateurs en travaux publics du pays. L’autre est président du Wydad et du conseil préfectoral de Casablanca, en plus d’être député. Leur poids au sein du parti est significatif. Le PAM ne peut pas balayer leur implication dans une telle affaire d’un simple revers de main.

Le PAM sera amené à expliquer comment ces deux pontes ont pu mener leurs activités clandestines (s’ils s’avèrent coupables) sans être détectés par les circuits de vigilance du parti. Abdellatif Ouahbi, actuel ministre de la Justice, et un temps avocat de Naciri et de Bioui, a quitté le secrétariat général du parti afin d’essayer de tourner la page de cette mésaventure. Mais est-ce suffisant pour laver le parti de tout soupçon ?

En réalité, le PAM ne peut pas faire l’économie d’un aggiornamento. D’abord lancer une enquête rigoureuse en interne pour identifier les flottements ayant permis au tandem Naciri/Bioui, ainsi que d’autres élus, de pratiquer leur tambouille sans être épinglés. Ensuite, s’impliquer avec zèle dans l’élaboration et le respect du code de déontologie des députés que le roi a appelé de ses vœux. Et enfin, redéfinir l’ADN du parti.

“Un repositionnement idéologique est nécessaire pour façonner un PAM capable de parler aux citoyens”

Réda Dalil

Bâti sur la promesse d’allier “authenticité et modernité”, ce premier crédo du PAM n’est plus qu’un slogan vide de sens. Sa mission originelle consistant à faire rempart aux islamistes du PJD est désormais caduque. Après dix ans de pouvoir, le PJD s’est banalisé, devenant un parti comme un autre. Avoir pour raison d’être de le combattre ne constitue plus un argument de vente. Un repositionnement idéologique est nécessaire pour façonner un PAM capable de parler aux citoyens.

Un test à venir pour le parti du tracteur sera la révision du Code de la famille. Le degré de progressisme qu’affichera ce parti dans les tractations contribuera à le situer sur le spectre politique. Le nouveau PAM sera également scruté sur la performance de ses ministres (en attendant un remaniement). Si Mehdi Bensaid à la Culture réalise des choses intéressantes (soutien à la presse, pass jeunes, protection du patrimoine) et qu’El Mansouri a réussi à enclencher le programme d’aide au logement voulu par le roi, le ministre du Travail, Younes Sekkouri, doit encore faire ses preuves, et Ouahbi a pris trop de retard dans la révision du Code pénal.

Au fond, le PAM est à la croisée des chemins. Machine électorale redoutable d’efficacité sous Ilyas El Omari (102 députés en 2016) et Abdellatif Ouahbi (87 députés en 2021), il peut soit continuer de progresser pour finalement briguer une chefferie du gouvernement, ou alors sombrer dans la réalité alternative de partis comme l’UC, qui n’ont plus d’autre fonction que de servir d’appoint au RNI avec leurs 10-20 sièges. Nous l’avons vu avec le PJD, la chute peut être rude. De 87 sièges, l’on peut vite passer à 10. Tout l’enjeu d’El Mansouri and Co. est d’insuffler une substance militante et idéologique, de la pertinence et de la cohérence, à un parti fourre-tout qui traîne désormais une réputation sulfureuse. Le défi est de taille. Il consiste à faire de la politique, de la bonne manière. Bon courage…

à lire aussi