Encore une année noire pour l’emploi au Maroc. Les récents chiffres du HCP brossent malheureusement une triste aquarelle de la physionomie du travail dans notre pays. En 2023 derechef, notre économie a détruit de l’emploi au lieu d’en créer. 157.000 postes nets ont donc été gommés d’un coup. Le gros des pertes se situe, comme de juste, dans la ruralité où cinq années consécutives de sécheresse ont laissé de terribles traces.
Le milieu urbain n’a guère pu combler le déficit d’emplois constaté dans les campagnes. Avec 41.000 postes nets engendrés en 2023 dans les villes, la moisson est au mieux décente, au pire moyenne. Toujours est-il qu’elle ne correspond pas à la place du royaume dans l’échiquier régional.
Le Maroc jouit d’une aura exceptionnelle chez nos principaux partenaires. Pays innovant, ayant su diversifier son économie en vingt ans, doté d’infrastructures solides, béni par une jeunesse pleine d’enthousiasme et d’une stabilité rare permise par l’institution monarchique, le Maroc dispose de formidables atouts intrinsèques. Ce qui d’ailleurs le fait briller dans les radars des investisseurs étrangers. La base industrielle automobile et aéronautique, deux métiers mondiaux qui cartonnent, en font foi.
Vu de loin, la copie Maroc mérite un tableau d’honneur. Sauf que les chiffres ont cette fâcheuse manie de nous ramener à une réalité dérangeante. Au fond, qu’est-ce qui cloche ? Pourquoi le royaume n’arrive-t-il pas à harmoniser ses nombreuses ressources avec les données qui comptent : la croissance et les créations d’emplois.
Le gouvernement Akhannouch, comme d’autres avant lui, ne lésine pas sur l’investissement. En 2024, un record de commande publique est prévu avec un montant de 335 milliards de dirhams. Les commissions nationales d’investissements ont, depuis 2021, scellé des accords valant 218 milliards de dirhams.
A en croire le ministre chargé de l’Investissement, Mohcine Jazouli, le secteur privé a injecté 100 milliards de dirhams dans l’économie. Des mastodontes étrangers tels le Chinois Gotion-High Tech promettent d’investir 65 milliards de dirhams dans la production de composants pour cathodes destinés aux batteries électriques. Al Mada investit à tour de bras, sans parler d’OCP qui multiplie les projets structurants, notamment dans le dessalement de l’eau de mer et les énergies renouvelables. Mais alors, où tout cela s’évapore-t-il ? Pourquoi toutes ces mannes qui irriguent le système nerveux de notre économie ne parviennent guère à en soigner l’anémie ?
Certes, on peut arguer que les réformes de fond n’ont pas été entreprises. La fiscalité demeure inéquitable, la lutte contre la corruption et l’informel ne brille pas par sa ténacité, l’esprit de rente demeure omniscient, etc. Mais ces facteurs de blocage ne datent pas d’hier, ils participent même de la fabrique génétique de notre pays. Et pourtant, en dépit de ces immuno-dépresseurs, le Maroc a toujours réussi à créer de l’emploi pour ses jeunes : 800.000 sous Driss Jettou, 454.000 sous El Fassi, 103.000 sous Benkirane, 159.000 sous El Othmani. Mais, hélas, 181.000 perdus en deux ans de mandat sous Akhannouch.
« Le pire serait de faire l’autruche, d’accueillir les mauvaises nouvelles charriées par le HCP avec mépris, voire d’en contester la data »
Que n’a-t-il pas compris notre Chef du gouvernement actuel que ses prédécesseurs avaient saisi ? Creuse-t-il le mauvais sillon ? Souffre-t-il d’un bug stratégique ? Très sincèrement, l’état de l’économie sous sa direction laisse songeur. Pourtant, homme d’affaires à succès, entrepreneur le plus fortuné du Maroc, il sait manipuler un business plan et comprend les finesses du “deal-making”.
Mais quelque chose, un vice caché, semble corrompre son bilan, le condamnant à une certaine forme de médiocrité. Face au taux de chômage et d’activité les pires de l’histoire récente du royaume, ce gouvernement n’a d’autre choix que de tout remettre sur le métier. Le pire serait de faire l’autruche, d’accueillir les mauvaises nouvelles charriées par le HCP avec mépris, voire d’en contester la data. L’heure d’une vraie remise en question, affranchie de la puissance toxique des égos et des certitudes, est venue. Puisse Aziz Akhannouch en avoir conscience. Il y va du sauvetage de son mandat et, par là même, du pays tout entier.